Valentine Petit, vous étiez en 2013 attachée de presse « musique », freelance à Londres. Que s’est-il passé depuis et quelle est votre nouvelle destination et orientation ?
Entre temps, j’ai pas mal bougé, je me suis d’abord basée en Martinique, au plus près de mes artistes, puis j’ai redéménagé à Paris, pour être à mi chemin entre la Caraïbe et l’Océan Indien afin de faciliter mes déplacements, et enfin je me suis envolée vers Dubaï il y a bientôt un an, pour découvrir de nouveaux horizons mais aussi chercher à développer les artistes et la musique caribéenne notamment sur le continent africain. Apres avoir exercé 9 ans dans le marketing et la communication dans les plus grands pôles européens, la conquête d’un marché émergent m’est apparue comme une évidence, et Dubaï étant un carrefour géographique et culturel de par sa position stratégique entre Europe, Afrique et Asie, une destination de premier choix.
La communication d’une façon générale et digitale plus particulièrement sont-elles différentes à Dubaï qu’en Europe, y a-t-il des bonnes pratiques à intégrer, des écueils à éviter ?
Le Moyen Orient apparaît aujourd’hui comme tête de proue de la communication interactive dans un continent considéré comme le nouvel eldorado de l’industrie musicale et des technologies.
Communiquer au Moyen-Orient ne nécessite pas seulement de s’adapter aux habitudes des locaux. En effet, cette partie du monde est composée de différents pays, dans lesquels les populations parlent des dialectes différents. Cela s’amplifie également avec la présence de populations de différentes nationalités ayant chacune leur culture, leurs standards (Dubaï à elle seule totalise près de 85% d’étrangers).
Communiquer en Europe c’est s’adresser à des gens qui ont en règle générale des références culturelles proches. En revanche, au Moyen-Orient, la publicité doit interpeller le plus grand nombre et répondre aux codes culturels d’une multitude de nationalités, il faut donc faire simple. Un autre aspect à prendre en compte est la législation locale qui rend certaines pratiques passibles de sanctions voire même d’emprisonnement, ainsi toute information n’est pas bonne a partager !
En termes de révolution digitale, Dubaï n’est pas en reste et de plus en plus d’influenceurs s’y sont fait un nom. Les réseaux sociaux constituent un véritable centre d’intérêts dans le monde arabe et une étude publiée dans le journal local Khaleej Times révèle que les utilisateurs perçoivent les réseaux sociaux comme ʺun améliorateur de vieʺ.
La pratique des RP est différente d’une capitale à l’autre surtout en matière de positionnement vis-à-vis des cibles qui varient. Le marché n’est pas le même, les médias non plus. Quelle est selon vous l’importance des relations presse dans le domaine de la musique dans une stratégie de communication quand on est basé à Dubaï ?
A l’ère de la digitalisation de l’information, la pratique des RP reste un maillon essentiel d’une stratégie de communication globale, cependant à Dubaï les principaux vecteurs de communication et publicité sont les réseaux sociaux, associés à la télévision, étant donné que la population est plus jeune qu’en Europe, et aussi très diversifiée mais surtout ultra connectée – tout dépend donc de la cible visée.
Le monde de la musique est-il un univers plus facile à « défendre », plus universel pour casser les codes de nos différentes sociétés et quel positionnement prenez-vous pour mettre en avant la musique en Afrique ?
Tout d’abord il faut souligner que l’Afrique s’étend sur une surface presque équivalente à celle de la lune, qu’elle est composée de 54 pays, et tout autant de langues, cultures, barrières digitales, modes de consommations, absence de politiques culturelles volontaristes, difficultés de mobilité des artistes, problèmes de piratage, absence de suivi des royalties , etc. qui rendent le partage et l’export de la musique africaine et l’import en Afrique compliqués. L’Afrique est donc un marché encore embryonnaire avec un potentiel de 450 millions d’auditeurs, ce qui explique pourquoi les majors ont aujourd’hui les yeux rivés sur le continent et s’y installent progressivement, à la recherche de son neuf. On a ainsi vu émerger ces dernières années des artistes locaux comme Wizkid, Davido et Tinashe sur la scène internationale.
Je pense qu’on peut aujourd’hui distinguer quatre marchés bien distincts dans l’industrie musicale: les Etats-Unis, l’Europe, l’Asie et l’Afrique, l’Europe étant nettement en train de s’estomper au profit de marchés émergents sur le plan de la diversité et de la créativité. L’Afrique en tant que pays émergent reçoit la jeunesse internationale et en quelque sorte se renouvelle ainsi en permanence, ce qui implique nécessairement une croissance de la consommation de contenus, dont le contenu musical.
Ensuite, même si on a tendance à catégoriser la musique africaine en musique world, celle-ci est en fait a l’origine de nombreux styles musicaux, notamment le jazz, le hip hop, le rap mais aussi la soul et la pop, pour ne citer que ceux-là. L’Afrique serait donc le berceau de la musique, un continent aux richesses sonores infinies, et reflet d’une culture plurielle bien qu’elle ne représente que 1 % des biens et services culturels exportés dans le monde, ceci étant dû aux difficultés citées en introduction.
Enfin, on ne le répète jamais assez, la musique n’a pas de frontières, et c’est ce qui fait que les artistes avec lesquels j’ai eu la chance de collaborer ces dernières années ont pu s’exporter de la Caraïbe aux Etats-Unis, en passant par l’Océan Indien, l’Europe, et aujourd’hui l’Afrique, et ce en grande partie via les plateformes digitales. Il existe aujourd’hui plus de 150 plateformes de téléchargement légales dédiées à l’Afrique, proposant streaming et téléchargement, et nombre de ces plateformes ont conclu des partenariats avec différents opérateurs téléphoniques tels que Orange, MTN, Vodacom, Safaricom et Airtel, faisant de la musique digitale l’un des moteurs de l’augmentation des souscriptions aux abonnements téléphoniques sur le continent. Youtube donne également une visibilité à l’international et est de plus en plus populaire en Afrique.
Comme le dit si bien Brahim El Mazned, fondateur du salon professionnel de l’industrie du disque Visa For Music au Maroc, ʺl’Afrique n’est pas une géographie, c’est un esprit. Ce continent (…) a tant nourri les musiques actuelles à travers le monde : le jazz, le blues et d’autres esthétiques musicales à l’exception du classiqueʺ. C’est ainsi que je me représente la musique et la culture en général, et que c’est le positionnement que j’adopte avant d’aborder un nouveau territoire.
Les médias sociaux ont probablement une importance centrale pour la communication des artistes dont vous vous occupez. Comment procédez-vous avec ceux-ci depuis vos différents comptes (Twitter : @Honeybee2fly, @SereniteEvents, @off_da_record, votre FanPage …) ?
Il est aujourd’hui impensable d’envisager une quelconque stratégie de communication sans y inclure le web et plus particulièrement les réseaux sociaux. La clé pour une communication digitale réussie est de partager l’information de façon régulière et à différents moments car celle-ci est rapidement périmée, et cela permet de faire circuler l’information auprès d’un plus grand nombre de cibles. Je consacre donc chaque jour du temps à mes différents comptes et distribue l’information de façon régulière et équitable.
Les réseaux sociaux, à l’instar des plateformes de téléchargement numérique, sont devenus, depuis quelques années maintenant, l’une des premières sources de recommandation dans le domaine musical. Les internautes sont plus à l’écoute des tendances émergeant sur la toile, d’où l’ampleur du phénomène d’influenceurs sur les réseaux et sur les plateformes de téléchargement la recommandation algorithmique et l’utilisation du big data pour mieux comprendre les désirs des consommateurs font aujourd’hui partie intégrante du business development de ces outils. Ces données forment une carte géographique indiquant quel artiste se développe, qui l’écoute, quand, comment et permet ainsi aux labels et équipes communicantes de savoir comment aborder tel ou tel territoire en se basant sur les désirs exprimés par les consommateurs à travers leur simple usage des réseaux sociaux et plateformes digitales.
A la question, comment envisagez-vous ce métier dans les années à venir en 2013 ? Vous répondiez : « Notre métier est en constante évolution, de par le développement du web et ses nouvelles technologies et outils de communication mais aussi des nouveaux comportements des consommateurs. Cela reste un métier d’avenir car la gestion de l’image d’un artiste et la promotion de ses albums et tournées sont essentielles et leur succès dépend de l’accueil qu’en fait le public. Or il y a de moins en moins de filtres entre l’émetteur et le consommateur de par la propagation des réseaux sociaux. Le rôle d’attaché de presse reste donc un maillon essentiel de la chaîne de communication ». Et aujourd’hui ? 🙂
Comme évoqué précédemment, la révolution numérique a obligé les industries culturelles à sortir des schémas traditionnels. Loin de détruire l’industrie de la musique, on reconnait aujourd’hui qu’Internet a en fait permis l’émergence d’un modèle de développement innovant basé sur la recommandation algorithmique.
C’est une véritable révolution copernicienne qui s’est mise en place avec la prise de pouvoir par le public, qui devient à la fois financeur de contenus (par le crowdfunding), programmateur, critique sur les forums ou réseaux sociaux mais aussi créateur (youtubeur, instagrammeur etc).
Le consommateur a repris le pouvoir sur l’industrie culturelle aujourd’hui et influence ainsi les ventes et tendances musicales, cinématographiques ou encore télévisuelles. C’est avec cette optique de toujours placer son audience au cœur de sa communication qu’il faut avancer aujourd’hui et les réseaux sociaux, en cassant les barrières entre les utilisateurs ont ouvert la voie au smart web ou ʺweb intelligentʺ. On est passe d’un web dit ʺsocialʺ ou 2.0 privilégiant le partage et l’échange d’informations de façon démocratique et dynamique via les réseaux sociaux notamment, à un web ʺsémantiqueʺ ou 3.0, visant à analyser et donner un sens aux données fournies par les utilisateurs, plaçant l’utilisateur et ses préférences au centre du système lui offrant ainsi un espace de plus en plus personnalisé.
La révolution du numérique est donc bien en marche et n’a pas fini de nous surprendre, et les techniques de communication vont continuer à évoluer avec elle.