Matière à réflexion : Bernard Petitjean et Corinne da Costa – Seprem Etude & Conseil
Avec la rentrée des classes, la question de l’illettrisme va à nouveau se retrouver à la Une des médias. A juste titre, puisque ce fléau concerne, en France, 3,1 millions de 18-65 ans et 4,9% des moins de 17 ans. Pour le combattre, la presse imprimée est une arme que prennent insuffisamment en compte les experts et les politiques.
Lors du colloque « Pouvoir lire le monde » organisé par la Fondation SNCF en mars dernier, plusieurs intervenants ont souligné qu’au delà des questions de moyens et de méthodes, l’apprentissage de la lecture n’était possible que lorsque les jeunes comprenaient l’intérêt de savoir lire. Si l’on accepte que la fin justifie les moyens, force est de constater que les débats d’idées suscitent moins d’intérêt que les performances des sportifs, les potins des peoples, les coulisses d’un métier ou les faits divers. Faire lire en activant le ressort de l’intérêt serait donc plus facile à partir des différentes formes de presse plutôt qu’avec les classiques de la littérature.
La seconde source de motivation est l’imitation d’un modèle. Or, ce modèle n’existe pas lorsque les parents (et parfois les enseignants) ne lisent pas devant les enfants, et lorsque « les grands » construisent leur réputation en détruisant les manuels scolaires. Mais lorsque les « modèles » ne lisent plus de livres, ils continuent le plus souvent d’avoir une relation forte et régulière avec la presse qui correspond à leurs centres d’intérêt. S’il s’agit de faire lire, est-il important que le « modèle » ne s’intéresse qu’à la presse hippique ou à la mode ?
Lors du même colloque, le Professeur Meirieu a rappelé qu’il n’était pas possible de « séparer le décodage de l’encodage » et que « pour bien apprendre à lire, il faut en même temps apprendre à écrire ». Ici encore, dans notre monde utilitariste, l’implication passe par la proximité et la valeur d’usage perçue, ce qu’a illustré l’écrivain et académicien Eric Orsenna en révélant que, lorsqu’il animait des ateliers d’écriture, il organisait des championnats de lettres d’injures et de lettres d’amour qui remportaient toujours un énorme succès !
On entend souvent dire que les SMS et Internet ont sauvé l’écrit, et donc la lecture puisque l’un ne va pas sans l’autre. Ce n’est pas exact pour Bruno Germain, Chargé de mission Maîtrise de la langue française au Ministère de l’Education nationale. En effet, la lecture numérique serait beaucoup plus complexe pour ceux qui maîtrisent mal la lecture « papier » et se perdent rapidement dans les liens hypertextes, les sons et les vidéos. Pour ce spécialiste « on n’apprend pas à lire ou à écrire sur Internet, on doit d’abord apprivoiser l’outil numérique et se l’approprier en mettant en œuvre des compétences (…) qui permettront la navigation, l’échange et l’exploitation pertinente des données ».
Même si ce n’est évidemment pas la panacée, la présence de la presse imprimée à l’école est donc un moyen de lutter contre l’illettrisme. Sous réserve (et ce ne sera pas une mince affaire) que les pouvoirs publics et les enseignants comprennent que cette présence ne peut pas se limiter à la presse d’information politique et générale, mais doit concerner toutes les publications susceptibles de donner envie de lire.
Bernard Petitjean ([email protected])
et Corinne da Costa ([email protected])
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