Comment la pandémie nous oblige à nous interroger sur nos stratégies commerciales?

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Tribune Elisa Beardmore, Secrétaire générale, CCR Les Dominicains de Haute-Alsace : diffuser la culture au plus grand nombre, et non pas pour vendre tout et n’importe quoi...

#JaimeLaCom

On n’a pas les mêmes stratégies que les sites marchands même si nous avons les mêmes outils, c’est une question de déontologie, nous sommes là pour diffuser la culture au plus grand nombre et non pas pour vendre tout et n’importe quoi.

Elisa Beardmore, Secrétaire générale, CCR Les Dominicains de Haute-Alsace.

Depuis des décennies, les structures culturelles capitalisent sur l’abonnement pour fidéliser leurs publics. Les programmations des salles, établies très à l’avance, sont présentées dans la sacro-sainte plaquette de saison éditée pour un an. Les plus fidèles peuvent alors s’abonner et réserver en mai pour des spectacles qui peuvent avoir lieu neuf mois plus tard. Ce modèle a lourdement été éprouvé avec la pandémie, les multiples annulations de spectacles suite aux fermetures des salles ayant entraîné des remboursements ou des reports de places à n’en plus finir. Il faut se rendre à l’évidence : l’abonnement concerne un certain type de public. Le principe même de « s’abonner » peut exclure par principe. Parce que le public, dans sa majeure globalité, n’est pas dans cette logique.

Il semblerait néanmoins que ce modèle économique ait commencé à décliner avec l’avènement du numérique il y a quelques années.

Au CCR Les Dominicains de Haute-Alsace, le développement des publics est au centre des préoccupations, en même temps qu’une demande des tutelles. Le renouvellement des publics, en matière de musique classique notamment, est une urgence. Si on ne s’en préoccupe pas, nos salles vont se vider car les publics sont de plus en plus en âgés.

C’est en 2014 que nous avons pris le virage du numérique dans notre stratégie de communication en faisant entrer le mot marketing dans le champ lexical des relations avec les publics. Au début de ma carrière, en 1994, les salles étaient remplies d’abonnés, et les places se vendaient dès la sortie de la plaquette de saison. Aujourd’hui les choses sont différentes, les publics sont volatiles, l’offre culturelle est foisonnante, des pratiques immatérielles émergent, et les publics se décident au dernier moment. Les pratiques culturelles changent et c’est tant mieux car cela nous permet de toucher d’autres publics qui pensaient par le passé que nos salles étaient réservées à des élites. Mais pour toucher ces personnes, il faut être équipé d’un outil performant.

Ce virage, nous l’avons pris avec pour conseiller l’agence web parisienne, Artishoc, spécialisée dans le secteur culturel et touristique. L’idée était de trouver un outil utilisant les mêmes logiques que les sites marchands, mais adapté à notre secteur. Nous avons rapidement identifié un partenaire potentiel, Secutix, leader mondial de la billetterie, dont les clients sont l’Opéra de Paris, la Philharmonie, Le Théâtre du Châtelet… mais aussi le Stade de France, les chemins de fer suisses (CFF) ou encore la FIFA…

Il est évident que les budgets d’investissement dans un tel outil se situaient bien au-delà de nos possibilités financières. L’idée ingénieuse d’Artishoc a été de nous proposer une version de Secutix mutualisée avec plusieurs autres structures culturelles : Artishoc 360 était né, et nous étions les premiers à l’utiliser, suivis depuis par quatorze autres en France. La philosophie de la mutualisation n’est pas simplement un projet pour faire des économies, c’est surtout un fabuleux moyen de développer nos compétences. Chacun apporte ses questionnements, ses compétences et la solution évolue à vitesse grand V.

Le fichier clients est devenu la colonne vertébrale de notre travail, alors que par le passé, dans nos pratiques, c’est la billetterie qui était centrale. Il est hyper qualifié et permet d’envoyer la bonne information à la bonne personne au bon moment. 

On est donc dans une logique marketing de parcours client. On peut très bien tracker un spectateur depuis un post Facebook et analyser ensuite son parcours d’achat. En ce qui nous concerne, même si Facebook génère du trafic sur le site, nous avons très peu de taux de conversion, alors qu’une campagne Newsletter ciblée peut générer beaucoup plus de chiffre d’affaires. 

Cet outil nous a permis de passer de 9 à 53% de vente en ligne.

Notre travail aujourd’hui a donc une approche plus « marchande », liée à des outils marketing, mais nous ne sommes pas là pour produire de la Data. J’aime à rappeler que ces solutions ne sont que des outils et qu’il faut des êtres humains pour les faire fonctionner. On n’a pas les mêmes stratégies que les sites marchands même si nous avons les mêmes outils, c’est une question de déontologie, nous sommes là pour diffuser la culture au plus grand nombre, et non pas pour vendre tout et n’importe quoi. Mais il ne faut pas perdre de vue que les publics connectés sont à la recherche de nouvelles propositions et surtout de bons plans. C’est pourquoi nous avons la possibilité de temps en temps de faire des opérations promo sur un spectacle avec un tarif préférentiel. 

En mars 2020, le secteur culturel est touché de plein fouet par la pandémie. C’est à cette période que nous avons pu juger de l’efficacité de notre solution. Instantanément, les publics ont été informés des annulations et le montant des billets achetés en ligne a été recrédité automatiquement sur les comptes en banque.

Dans cette période d’incertitude, il nous a également paru essentiel de repenser notre politique commerciale. Nous avons souhaité baisser nos tarifs afin de pouvoir rendre accessibles au plus grand nombre nos spectacles. Nous avons aussi voulu mettre en place une formule de réservation en accord avec son temps : le PASS COUVENT, une carte comme au cinéma. On achète des billets et non plus des places pour un spectacle spécifique.

Le PASS est valable un an. Nous nous affranchissons des saisons pour sortir une programmation trimestrielle, plus souple, et nous proposons à nos publics d’acheter le PASS et de l’utiliser tout au long de l’année en fonction des nouvelles programmations.

Nous avons pu proposer une programmation de juillet à octobre, entre les deux confinements, et près de 54% des places ont été achetées via le PASS avec 30% de nouveaux publics. Le PASS n’étant pas nominatif, son détenteur peut en faire bénéficier ses proches, et le client devient alors prescripteur. Le PASS est souple : pas besoin de s’engager sur une longue durée, j’achète mon PASS, je réserve quand je veux, je peux le recréditer à l’envi. Lors du 2e confinement en octobre, nous avons recrédité automatiquement les places réservées sur le PASS, sans remboursement : nos publics pourront donc réserver très facilement lors de la reprise de notre activité. 

Cette nouvelle politique commerciale a bien évidemment pu être mise en place grâce au virage numérique que nous avions pris en 2014. Artishoc 360 nous a donné les moyens de nos ambitions. 

Cette pandémie bouleverse nos vies, mais en ce qui concerne nos pratiques de commercialisation des places de spectacles, elle nous a permis d’être innovants. Dans notre carte de vœux virtuelle pour les vœux 2021, nous avons souhaité réinitialiser le système, ce n’est qu’un début, il va falloir nous réinventer pour réenchanter nos métiers.


Elisa Beardmore, Secrétaire générale, CCR Les Dominicains de Haute-Alsace.

* les structures sont les suivantes : Les Dominicains de Haute-Alsace à Guebwiller – Maison de la culture du Japon à Paris – Théâtre Sorano à Toulouse – CCR La Chartreuse à Villeneuve-lez-Avignon – Théâtre Dunois à Paris – Théâtre Paris-Villette – L’Empreinte à Brive-la-Gaillarde – CCR Fondation Royaumont- Centre International des Arts en Mouvements à Aix-en-Provence – CCR Abbaye de Sylvanes – IVT – International Visual Theatre à Paris- Cultur(r)al à Sallanches – Le Bateau Feu, scène nationale de Dunkerque, le Centre des Cultures du Maroc à Paris et l’Espace Culturel André Malraux au Kremlin-Bicêtre.

CCR Les Dominicains de Haute-Alsace / En savoir+ : https://www.les-dominicains.com/le-ccr/qui_sommes_nous

Marc Michiels

Marc Michiels

Rédacteur en chef Culture RP, Content Marketing et Social Média Manager : « Donner la parole à l’autre sous la forme d’une tribune, une interview, est en quelque sorte se donner à lire ; comme une part de vérité commune, pour qu'apparaisse le sens sous le signe… ». / Retrouvez-moi sur LinkedIn

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