#ParoledInfluenceur
Quand avez-vous fait quelque chose, pris une décision, changé votre journée, vos habitudes, modifié vos croyances, après avoir lu un article ou regardé une vidéo ?
Patrice Laubignat, Conteur d’histoires et créateur de sens chez EforBrands
Voilà une étrange question, me suis-je dit, lors de cette conférence de ce début d’année 2020. Le débat est-il déplacé de la qualité du contenu vers son pouvoir d’influence ? Influence au sens où l’on serait conduit à modifier notre comportement, à agir différemment de nos habitudes, à penser autrement les choses ou les faits que nous observons d’un autre angle. Mais actionnable est plus précis, plus mesurable aussi, j’imagine. Alors dans un monde en apnée, à la limite de la noyade dans un océan de contenus bien plus gigantesque et indigeste que le continent de plastique flottant au milieu du pacifique, comment peut-on imaginer, en pleine conscience, qu’un contenu puisse inciter à l’action ?
Une explosion de contenus
La production de contenus a explosé et continuera à croître à mesure que chacun s’improvisera rédacteur de post Linkedin, photographe porn-food sur Instagram et comique vidéaste sur Youtube ou Tiktok. Mais que ferons-nous d’autre que nous divertir en les regardant, jusqu’à l’overdose de mentions j’aime et de smileys mignons tout plein ? Certes il restera pour enrichir nos conversations, animer nos débats du dimanche ou nos soirées du vendredi, des contenus informatifs voire pédagogiques. Des articles, des vidéos à consommer sans modération, qui nous feront réfléchir sur l’état de l’art, de notre profession, de notre secteur d’activité ou de l’étrange invasion des coachs.
Or nous sommes humains, et nous avons la faiblesse de penser que le lectorat, le visitorat est là pour nous, patiemment à l’écoute, discipliné dans sa consommation, généreux dans son appréciation de nos efforts de communication. Mais pourquoi faudrait-il que notre contenu soit le sujet d’attention, le trending topic de qui que ce soit ? L’humain aime que l’on apprécie ses contributions, et c’est d’autant plus vrai que si cela arrive, nous le remercions, nous l’encensons même parfois, heureux d’avoir été sa cible, son élève et son disciple à la fois. Plus tard, nous partagerons avec d’autres la découverte, nous retweeterons avec bonheur, espérant à notre tour surprendre, éveiller, ravir les esprits de ce que chacun appelle sa communauté.
Une influence imaginaire ?
Fort de nos suiveurs engourdis, fort de cette visibilité accordée par des plateformes habiles à commercialiser notre dépendance à la gloire éphémère du nombre de vues, nous propageons tout et n’importe quoi, pourvu que cela serve notre influence imaginaire. Oui, j’entends bien que nous le faisons avec cœur. Ce n’est pas uniquement pour figurer dans le classement illusoire de tel ou tel bloggeur que nous diffusons autant de contenus autour de nous.
Tout n’est pas forcément auto-centré, au service promotionnel de notre business ou de notre marque, lorsque nous écrivons quelques lignes ou bafouillons quelques mots face à la caméra. Un peu tout de même, non ? Que pensez-vous de cette manie de classer les personnes assistant à un événement par le nombre de fois où leur compte a été mentionné ? Un miroir aux alouettes des temps modernes, une ode à l’immodestie, un accélérateur de particules regroupant le cercle des fidèles autour de son noyau comme dans une centrifugeuse.
Une fois encore, nous visons à côté des étoiles. Car si n’importe quel contenu provoque chez l’autre une réaction émotionnelle, ce n’est guère suffisant à déclencher une action, ou même une réflexion. Or c’est ce seul objectif que devrait atteindre notre production. Toucher l’âme, inoculer une réaction émotionnelle puis intellectuelle qui induise une modification de la connaissance, ou à tout le moins, un questionnement. Certes nous avons cette liberté de commenter. Mais à nouveau, lorsque nous commentons, n’est-ce pas pour donner le signal que nous avons lu ou vu ce contenu ? Un signal que nous lançons dans le ciel comme une fusée de détresse, pour signifier à la communauté que nous sommes d’un avis qui pourrait être aussi celui des autres, et auquel nous pourrions apporter une légère nuance, un grain de sable additionnel. Et pourquoi pas ?
Un contenu actionnable ?
Je voudrais pourtant inciter le lecteur, le dévoreur de contenus à se poser cette question existentielle : quand avez-vous fait quelque chose, pris une décision, changé votre journée, vos habitudes, modifié vos croyances, après avoir lu un article ou regardé une vidéo ? Après tout, c’est ce que nous reprochons à la publicité. Désormais, il est très clair que pratiquement plus personne ne la regarde, ni encore moins ni trouve matière à entreprendre quelque action que ce soit.
Elle n’est pas actionnable. C’est au mieux un divertissement et, grâce à l’émergence du storytelling, un moyen de raconter de belles histoires. C’est tout ! Le risque est donc fort pour que vos contenus, qui n’ont guère de chance d’obtenir une audience aussi large que la télévision (y compris dans ces temps d’éparpillement de l’attention), soient totalement sans effet. Mon dieu, quelle horreur ! On vous avait déjà dit qu’écrire ne permettait pas de gagner sa vie, voilà maintenant que je vous révèle que vos contenus n’influencent personne ! Les temps sont durs!
De l’inaction béate à l’action
Alors faut-il être dopé à la confiance et à l’amour des autres pour continuer à partager un contenu ? Je le pense évidemment, mais je voudrais également me montrer optimiste et rassurant. L’artiste ne meurt jamais. Ce qui fera toujours la différence, en matière de contenu comme de toute production née de la main ou du cerveau de l’humain, c’est son originalité, son inventivité, sa sensibilité, son unicité, son ADN. Et c’est justement là que se trouve le ressort qui permettra d’inciter à l’action. Si mon contenu est ressenti comme pertinent ou impertinent et suffisamment novateur, il est de nature à déclencher quelque action. A la condition de proposer à celui qui le découvre, le moyen d’agir. Evident non ? Pas si sûr.
Trop souvent, nous souhaitons démontrer, voire apprendre aux autres, ce que nous croyons savoir. Trop souvent, nous oublions de les impliquer dans l’histoire, car après tout, ils n’en sont pas les héros. Trop souvent, nous terminons notre conférence d’un merci pour votre attention, uniquement destiné à générer un généreux écho de remerciement. Alors que pour être actionnable, nos contenus devraient, a minima, poser une question, créer une étincelle qui pourra peut-être mettre le feu aux poudres et, bim bam boum, faire sauter le verrou de l’inaction béate.
Mes contenus ne sont pas là pour vendre quoi que ce soit. C’est rassurant, en cela que je n’ai aucun besoin d’en calculer la rentabilité. En revanche, je ne désespère pas qu’ils vous incitent à la réflexion, et soyons fous, à un changement dans vos actions, votre communication, vos stratégies. Vous devriez en faire quelque chose, ne croyez-vous pas ?
Car si votre attention m’est sympathique, j’attends davantage de vous ! Et vous, qu’attendez-vous d’un contenu, si ce n’est qu’il ne provoque un progrès, une avancée, une amélioration pour vous ou votre vie ?