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« 75% de l’alimentation mondiale est générée par seulement
12 plantes et 5 espèces animales » –Up Magazine, 2018.
L’agence uzful a publié un très beau livre blanc sur les enjeux de l’alimentation, ses transformations, les modes de production, et de consommation. Les attentes des consommateurs et comment les marques comptent agir pour mieux se positionner dans ce nouvel espace devenu anxiogène pour nous tous.
Culture RP a voulu savoir ce qui motive Gilles Reeb, co-fondateur et Responsable des stratégies de uzful, à se lancer dans cette aventure. L’accompagnement des marques vers plus d’éthique est-il le seul item de ses ambitions affichées comme telles ?
Plaçons nous donc sous le prisme de la marque…
Pollution, surconsommation, appauvrissement de la biodiversité alimentaire, les risques générés par les PGM, la surexploitation, les mauvaises conditions d’élevage… Comment les marques agissent-elles ?
Les leviers d’actions sont multiples et peuvent intervenir tout au long de la chaîne de valeur et auprès d’une ou plusieurs des parties prenantes. Logiquement, elles peuvent changer leurs recettes pour limiter l’impact ou la nocivité de leurs produits à l’instar d’Intermarché qui vient d’annoncer la modification de 900 produits de MDD pour obtenir de meilleures notes sur Yuka.
Accélérer la transition de sa filière en aidant à financer les investissements des agriculteurs vers la bio ou le bien-être animal (BEA), comme le font Danone ou Carrefour qui abondent les contributions citoyennes sur la plateforme de crowdfunding dédiée à l’agriculture Miimosa.
Elles peuvent également utiliser la technologie pour apporter de réelles innovations, comme la marque Poulehouse, qui teste le sexage des poussins “in ovo”. Cette technique permettrait de déterminer le sexe du poussin dans l’oeuf évitant la mise à mort des poussins mâles à leur naissance.
La clé réside sûrement dans la collaboration et la transparence avec les consommateurs, et là ; la marque C’est qui le patron ? excelle particulièrement. Chaque produit est soumis à sa communauté de milliers de consomm’acteurs qui décide des critères du cahier des charges (ingrédients, fabrication, qualité, prix, etc.). Une approche globale qui permet de multiplier les bonnes idées et de prendre des décisions vertueuses, à tel point que la marque vient de lancer son Atelier consommateur et citoyen et son label, pour amener les autres marques “à prendre un chemin vertueux et respectueux des attentes nouvelles des consommateurs”.
Enfin, on voit apparaître des coalitions comme le Lab 10% à l’initiative du Gouvernement, ou des pactes corporatistes comme le “Fashion Pact” qui laissent entrevoir des efforts mutualisés et généralisés dans l’industrie de la mode. On surveille ces mouvements de près mais ils manquent encore plus d’actions concrètes.
« 80% de la déforestation mondiale est le fruit de l’agriculture »
– Envol vert, 2018.
Comment améliorer les pratiques des marques de la filière alimentaire en terme de communication ?
En tout premier lieu, il faut sortir de la communication opportuniste ou d’urgence qui ne fait qu’ajouter de nouveaux messages aux anciens. Pour devenir une marque engagée, il faut repenser sa stratégie, en commençant par faire émerger une raison d’être qui soit porteuse de sens, qui donne une direction claire à l’entreprise et donc à la communication.
Ensuite, il faut s’appuyer sur le pouvoir des communautés. Sortir du message descendant, en prenant soin de les consulter, les écouter, collaborer avec elles pour réduire les risques de dissonance et pré-tester les éléments de discours qu’on souhaite leur adresser.
Enfin, il est urgent de sortir des injonctions paradoxales : beaucoup de marques communiquent aujourd’hui sur leurs engagements contre les injustices ou les menaces environnementales, voire incitent leurs communautés à suivre leur exemple ; mais en parallèle elles poussent les consommateurs à acheter toujours plus. Carrefour s’engage fort depuis quelques mois sur le “mieux manger” avec son programme Act for food, mais n’a pas stoppé ses promotions pour le Nutella à la rentrée. A un moment, il faut être cohérent : sans renoncements, les communications engagées seront toujours perçues comme du washing.
Comment les marques peuvent-elles mieux informer les consommateurs ?
Il y a, dans un premier temps, un enjeu de collecte de données qui est crucial pour informer correctement. L’utilisation des technologies de tracking comme la RFID ou la blockchain, pourraient permettre aux marques de disposer d’informations précises et quasi exhaustives pour informer les consommateurs sur la composition, l’origine, les traitements reçus, les kilomètres parcourus par ses aliments. Pour revenir à Carrefour, l’enseigne s’est engagée à intégrer la blockchain alimentaire à 100 de ses “filières qualité” d’ici 2022.
Il faut également que la marque soit pédagogue. Expliquer ce qui est opaque voire caché, sortir des discours techniques (notamment très utilisés sur les étiquettes) ou légaux pour éduquer le consommateur et lui donner les clés pour mieux choisir. Notamment sur le juste prix de ce qu’on mange. En quelques décennies, les consommateurs ont perdu une grande partie de leur bon sens et de leur éducation alimentaire. Résultat : ils n’ont plus confiance dans les marques et attendent de vraies preuves de leur bienveillance.
Dernier point qui n’est pas anodin : il faut aller au-delà du cadre légal, répondre aux attentes de leurs communautés, anticiper les demandes les plus exigeantes. Beaucoup de marques se retranchent derrière la législation (façonnée à grands renforts de lobbying), et ont complètement oublié le bon sens moral. Les lois actuelles ne défendent pas suffisamment l’intérêt collectif. Elles laissent trop d’interstices pour rester caché. Il n’y a qu’à prendre le cas du Nutriscore, qui n’a pas été imposé aux marques alimentaires, mais mis en place sur la base du volontariat. Quelques marques ont pris le risque de l’adopter dès le début, et elles en tirent déjà des bénéfices, alors que beaucoup traînent les pieds ou cherchent encore un moyen de le contourner.
La transparence est-elle une attente forte de la part des consommateurs ?
En effet, la transparence est clé dans le rapport de confiance entre marques et consommateurs, dans l’alimentaire encore plus qu’ailleurs. Les scandales alimentaires, les substances cancérigènes fréquemment dénoncées ou l’antibiorésistance due aux excès dans l’élevage intensif cristallisent les dérives et l’opacité de notre système alimentaire.
La transparence est la réponse la plus évidente pour rassurer les consommateurs : garantir l’hygiène et la sécurité (un critère d’achat pour 80% des français) mais aussi sur les conditions de travail des agriculteurs, les techniques de production, les intrants utilisés, les kilomètres parcourus… Désormais, chacune de ces informations est attendue par une partie de la population. Et on constate que ces préoccupations occupent une place de plus en plus importante dans les processus de décision. Si les marques ne prennent pas l’initiative, la transparence se fera sans elles via les réseaux sociaux, les forums ou les applications citoyennes comme Yuka. A elles de décider si elles préfèrent prendre les devants ou subir.
« Plus d’un Français sur cinq déclare utiliser les applications
de notation avant de faire ses courses » – L’Usine nouvelle, 2018.
En quoi une marque peut s’engager dans des pratiques plus vertueuses ?
Il y a de très nombreuses pratiques à tous les niveaux de l’entreprise, notamment sur le respect du principe de précaution, un partage des richesses plus juste ou la réduction des externalités négatives. Il s’agit du “quoi”, des actions structurantes de la transformation. Mais le “comment” est aussi important et concerne davantage les communicants. Leur rôle aujourd’hui est de créer des relations privilégiées avec les principaux publics de l’entreprise et de valoriser ce qui est fait concrètement pour eux. Pour cela, il y a le développement de la transparence comme on l’a vu, mais aussi l’inclusion des parties prenantes (de la filière, des collaborateurs, consommateurs, des associations, …) pour les associer au futur de la marque, considérer leurs points de vue. Décider avec les principaux concernés, c’est un des principes de la loi PACTE sur les entreprises à mission et ce qui a fait le succès de C’est qui le patron ?
Côté communicant toujours, il y a un impératif à stopper le double jeu entre les prises de positions officielles et lobbying conservateur en sous-marin. D’ailleurs Coca-Cola et PepsiCo viennent juste d’annoncer qu’ils rompaient leurs relations avec un des principaux acteurs du puissant lobbying du plastique aux USA.
« 1 milliard d’euros, c’est l’investissement du lobbying agroalimentaire
en Europe, visant à empêcher la diffusion du Nutri-Score »
– Corporate Europe Observatory.
En tant que Dir Mark/Com, par quoi commencer ? Comment convaincre les autres fonctions d’accélérer le pas ?
Dans un monde idéal, il faut s’attaquer à la marque : revoir la plateforme de marque, définir une raison d’être porteuse de sens pour aligner toutes les fonctions sur une vision commune. Au cours de cet exercice, nous recommandons de définir les engagements sociétaux de la marque, pour les inscrire dans son ADN et donc dans la stratégie de l’entreprise. C’est le seul moyen de ne pas perdre de vue le rôle sociétal de l’entreprise au-delà de sa fonction économique. Il est ensuite possible de procéder à des proofs of concept pour tester l’affinité entre la marque, la cause et la communauté visée. L’interne représente le public le plus légitime pour procéder à ce type d’expérimentation : les collaborateurs sont ceux qui connaissent le mieux l’entreprise et donc ceux qui seront le plus à même de détecter d’éventuels écueils.
Pour convaincre, il suffit parfois même d’écouter. Ecouter les conversations en ligne sur la marque, ses produits, le secteur et les attentes des communautés. Les préoccupations de la société civile sont de plus en plus visibles sur le web social. On assiste à une véritable accélération des conversations autour des enjeux sociétaux, sujets ensuite repris par les médias et enfin par les politiques. Une bonne veille stratégique permet d’identifier les signaux faibles et de réagir à temps.
A quel niveau d’engagement votre entreprise, vous-même êtes-vous ?
Aujourd’hui, nous avons des engagements qui concernent nos missions auprès de nos clients comme faire preuve de transparence sur notre fonctionnement, faire notre devoir de conseil même quand ça va à l’encontre de nos intérêts… Ces engagements peuvent sembler “bateaux” mais nos expériences passées ne nous apportaient pas satisfaction à ce niveau. Mais nous sommes également engagés auprès de nos collaborateurs, en ayant un niveau de transparence toujours plus avancé sur notre entreprise, en les incluant dans les prises de décision stratégiques (nous consultons nos équipes, pendant les “uzagora”, pour décider si nous nous positionnons ou non sur une mission) ou à travers le UzGood Challenge, qui nous permet de nous initier à certaines pratiques responsables (manger végétarien, faire du bénévolat, …) tout en constituant une cagnotte “for good” pour chaque défi relevé.
Mais pour être transparent (c’est un peu le thème), nous ne sommes pas encore satisfaits de ce niveau d’engagement, qui est l’héritage de nos presque 10 ans d’expérimentations. Nous souhaitons aller plus loin et sommes en train de lancer un chantier de définition de nos engagements avec toutes nos parties prenantes.
A titre personnel, je suis très attentif à ma consommation. Tout commence par là ! Je boycotte de nombreuses marques irresponsables, ne prends plus l’avion depuis 6 ans, n’achète que très peu de matériel neuf et me nourris en majorité de produits bio, locaux et de saison. Ah oui, et j’ai réduit ma consommation de viande à 2 repas carnés maximum par semaine. J’évolue également dans différentes sphères associatives, à différents niveaux d’activisme. Mon associé et moi avons des convictions fortes et une volonté de transformer positivement la société, qui ont motivé la création de uzful et ceux qui ont rejoint l’aventure : il est important pour chacun de nous d’aligner nos pratiques personnelles et professionnelles. Notre challenge en temps que managers est d’incarner ces convictions au quotidien pour inspirer nos équipes mais aussi nos clients ou nos partenaires.
Le site de téléchargement du livre blanc est ici : https://alimentation-et-engagement.uzful.fr/
Pour les plus curieux (ou sceptiques), il y a même un extrait à feuilleter.