Chaque semaine, dans le « Guide du Nouveau Storyteller », Benjamin Hoguet nous livre un article dédié à la découverte de la création et de la production de contenus interactifs et transmédias. Une démarche qui débouchera bientôt sur la publication d’un livre par cet auteur très actif dans la promotion et le développement des nouvelles pratiques de storytelling. Il a d’ailleurs, par le passé, cofondé Racontr, une plateforme de création de contenus interactifs notamment à destination des médias, et il co-anime la branche française de l’association Storycode qui organise régulièrement des conférences et des workshops dédiés aux nouvelles formes de narration.
Pouvez-vous nous dire ce qu’est un storyteller ?
Par définition, c’est quelqu’un qui raconte une histoire. Un storyteller interactif, c’est un auteur qui est capable de réinventer la manière dont il fait les choses, les imagine et les construit. Tout cela en fonction du thème, du public auquel il veut s’adresser et des opportunités technologiques qu’il a à sa disposition. Il peut s’adapter et proposer à chaque fois ce qui est le plus pertinent. Un storyteller, au final, c’est quelqu’un qui est capable de se projeter et de faire preuve d’empathie pour son public tout en trouvant la bonne forme, et la bonne manière de raconter une histoire. On parle souvent des nouvelles écritures pour définir les nouvelles pratiques de storytelling.
Pouvez-vous me définir d’une manière générale ce que sont les nouvelles écritures et quels types de formats ce concept englobe ?
C’est une désignation dans laquelle on met un peu toutes les formes d’innovations en termes de contenu. On écrit du contenu pour la télé, la radio, le web, le cinéma et la presse. Les nouvelles écritures créent une convergence entre tous ces formats qui permet d’inventer de nouvelles manières de diffuser et de partager les contenus. Ce terme de nouvelles écritures englobe des réalités qui sont extrêmement variées. Cela regroupe toutes les expérimentations et toutes les réflexions qui se font autour d’une question : comment créer, imaginer, produire et diffuser différemment du contenu pour mieux toucher son public?
En ce qui concerne le journalisme, où en sommes-nous ?
En matière de journalisme, il y a beaucoup de choses très différentes qui se testent. Le journalisme sur le web a commencé avec des choses assez simples qui étaient plus ou moins la reproduction des contenus papier avec la même temporalité que dans un journal ou dans un magazine. Aujourd’hui, la presse en ligne essaye de trouver de nouvelles manières, à la fois de toucher un public, mais aussi de mieux valoriser l’information. C’est pourquoi, on voit de plus en plus de nouveaux formats comme le documentaire interactif ou la data visualisation par exemple. L’information est présentée de manière plus interactive et cela permet de produire des choses qui ont une plus grande valeur ajoutée ainsi qu’une plus grande pertinence par rapport aux attentes du public.
Comment les médias s’adaptent-ils à ces changements ?
Il y a des médias qui ont les moyens d’avoir des équipes en interne pour développer des projets, comme Le Monde par exemple, dont le département Grands Formats produit des articles longs et multimédias. Après, d’autres médias avec moins de capital humain vont utiliser les nombreux outils qui sont apparus pour créer du contenu multimédia comme avec Storyfy qui est un outil très utilisé. Les outils à disposition permettent de créer des expérimentations interactives qui mettent à profit le savoir-faire du journaliste et permettent de créer des œuvres qui ont plus de valeur ajoutée.
Vous parlez notamment d’expérimentations interactives et d’interactivité. En quoi cela consiste exactement ?
Pour moi, l’interactivité englobe de nombreuses expériences utilisateurs. Il existe différentes formes d’interaction. Il y a l’interactivité machine-qui nous pousse à toucher l’écran de la tablette, du mobile ou à cliquer sur l’ordinateur- il y a l’interactivité sociale- qui nous fait participer à des discussions sur les réseaux sociaux par exemple- et finalement, il y a l’interactivité collaborative- où les gens participent à la création d’une œuvre en co-construction. Le mot interactivité, je l’utilise vraiment comme une ombrelle très large et dedans il y a toutes les formes d’innovations.
Est-ce que certains médias ont des difficultés à changer l’organisation de leur rédaction et de logique de production de contenu ? Cela ne va-t-il pas trop vite ?
Effectivement, cela va vite. Après le but n’est pas d’être toujours forcément à la pointe des nouveaux usages. Un média s’adresse à un public relativement large. Par exemple, en ce moment, les casques de réalité virtuelle se développent mais ils restent relativement confidentiels. Du coup, pour un média, réaliser des œuvres de réalité virtuelle pourrait être un peu prématuré. Mais par contre, sans être à la pointe, il faut quand même adopter un certain nombre de choses assez vite. Cela suppose effectivement beaucoup de changements en termes d’organisation de la rédaction et en termes de conception d’un projet. Ce sont des projets plus complexes à envisager et qui demandent plus de temps, de compétences et de collaborations.
Qu’est ce qui a poussé les médias à amorcer ces changements ?
Beaucoup de comportements ont changé. Beaucoup de choses ne fonctionnent plus comme elles ont fonctionné auparavant. A ses débuts, la presse en ligne avait des mécanismes d’engagement d’audience très différents. Aujourd’hui, on remarque qu’il y a une réalité assez forte qui est « la mort de la home page ». C’est-à-dire que l’on ne tape plus forcément Le Monde.fr pour accéder au contenu du Monde. On va plutôt passer par les médias sociaux ou par le mobile. On s’aperçoit qu’il y a plein de nouvelles habitudes de consommation de l’information qui remettent en cause ce qui existait avant. Nous sommes donc actuellement dans une phase de recherche et de développement et le but, c’est de tester des choses assez différentes et d’essayer de comprendre ce qui marche et ce qui ne marche pas auprès du public dont les usages ont changé.
Vous utilisez le terme de « recherche et développement » pour désigner l’ensemble de ses projets expérimentaux. Quels sont les avantages pour les médias de se lancer dans cette logique ?
Il y a plusieurs avantages à se lancer dans ces projets au-delà de la simple recherche et développement. En premier lieu, c’est la montée en compétence des personnes qui travaillent dessus. Par la collaboration et la complexité de ces projets, les gens qui sont impliqués ont tendance à s’apprendre mutuellement beaucoup de choses. Les journalistes peuvent vraiment monter en compétence. L’autre avantage, c’est l’aspect image. Cela permet de se positionner comme un média innovant comme par exemple avec le NYT qui, en 2012, publiait le reportage Snowfall qui lança cette mode des «Long Forms » qui perdure aujourd’hui. Les retombées économiques ont été assez négatives mais les retombées en termes d’image au niveau de la presse et du grand public ont été assez importantes (3,5 millions de lecteurs).
Ces contenus ont-ils un modèle économique ?
Concernant le modèle économique, il y a la possibilité de le développer petit à petit, ou du moins, d’intégrer ces différents formats dans le modèle économique déjà existant. Car ce genre de projets peut servir à promouvoir des abonnements ou à faire du contenu sponsorisé pour ceux qui le pratiquent. Par contre, il est également possible d’imaginer des business modèles propres à certains projets pour lesquels, par exemple, une application serait développée. C’est tout à fait envisageable mais tout dépend de la stratégie du groupe.
par Alexander Paull