Bygmalion & spin doctors

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A l’heure où l’affaire Bygmalion n’en finit plus de déborder comme une gouttière trop pleine avec ses factures fictives et ses conflits d’intérêt scandaleux, je m’étonne du silence presqu’assourdissant de la profession. Nous avions déjà à nous coltiner les spin doctors et leur vision faustienne de la communication qui pollue l’image de notre métier. Maintenant, les communicants sont amalgamés à la pompe à fric peu regardante qu’est l’agence Bygmalion et ses entités satellites. Il est urgent de se bouger et rejeter sans concession, ni merci ces dérives intolérables qui souillent le travail honnête et consciencieux de milliers de communicants en France.

Coup de gueule !

Même si le métier de la communication est encore relativement jeune à l’échelle du temps des sociétés et des entreprises, il n’a jamais vraiment cessé de trimballer une image spécieuse aux yeux de nombreux observateurs et surtout dans la presse. Déjà en 1999, Ignacio Ramonet, journaliste et ancien directeur du Monde Diplomatique, s’insurgeait dans un brûlot éponyme contre « la tyrannie de la communication ». Avec une infinie contemption, il qualifiait celle-ci de (1) « grande superstition de notre temps. En s’imposant comme obligation absolue, en inondant tous les aspects de la vie sociale, politique, économique et culturelle ».

Communication = poison démocratique ?

Pour l’intransigeant professionnel de l’information, la communication est l’ennemi à débusquer en toutes circonstances (2) : « Information et communication tendent à se confondre. Trop de journalistes continuent à croire que leur profession est la seule à produire de l’information quand toutes les institutions et organisations de la société se sont mises frénétiquement à faire la même chose. Il n’y a pratiquement plus d’organisme (…) qui ne soit doté d’un service de communication et qui n’émette, sur lui-même et ses activités, un discours pléthorique et élogieux. Tout le système dans les démocraties cathodiques, est devenu rusé et intelligent, tout à fait capable de manipuler astucieusement les médias, les journalistes et de résister savamment à leur curiosité ».

Cette acception extrêmement noire continue d’imprégner majoritairement la vision des journalistes (mais aussi une large partie de la société civile) à l’égard des communicants toujours plus présents dans leur quotidien. En dépit d’une professionnalisation accrue et nombre de colloques et d’instances appelant à plus d’éthique et de responsabilité, les praticiens de la communication demeurent globalement perçus comme de vénéneux démiurges, souvent prompts à triturer la réalité et à enfumer l’ensemble du corps sociétal au bénéfice d’intérêts pas toujours très collectifs.

En avril 2013, le journaliste d’investigation et fondateur de Mediapart, Edwy Plenel, en a remis une large couche en évoquant son bras-de-fer finalement victorieux contre le ministre du Budget déchu, Jérôme Cahuzac et sa garde prétorienne communicante (3) : « Ces communicants, ce sont profondément un des poisons de notre démocratie. Ce sont les adversaires de ce que nous devons faire, nous journalistes. Nous devons être au service du droit de savoir des citoyens, pas de ces techniques qui essayent de cacher, de voiler, de mentir ».

Accomplissons notre révolution intellectuelle !

Si le propos d’Edwy Plenel est sans nul doute excessif (voire caricatural), il doit néanmoins nous inviter, nous les communicants de la nouvelle génération et vous les managers et dirigeants, à nous interroger collectivement, sans concessions et avec acuité sur le sens, les valeurs et les missions de notre fonction. A l’heure où l’irruption irréversible des médias sociaux et de la connectivité numérique permanente a bouleversé de fond en comble la donne et complexifié les stratégies d’image et d’information, le communicant n’a paradoxalement jamais été autant en première ligne des enjeux qui chahutent la réputation des entreprises, des institutions, des marques, des dirigeants et des experts. Il est donc urgemment temps de ranger à la cave l’attirail éculé des ficelles de la communication de papa et de faire de notre métier autre chose qu’une poule pondeuse de messages tellement calibrés et ripolinés que plus personne ne daigne ni les écouter, ni les croire.

Qu’on ne se méprenne pas ! Je ne remets absolument pas en cause la technicité et la capacité à concevoir et déployer des stratégies qui sont les critères indispensables de tout communicant qui se respecte. Il est d’ailleurs de notre responsabilité première que de se former, être curieux, expérimenter, se confronter, corriger et apprendre en permanence. En revanche, si pointus et performants soient-ils, les outils ne sont et ne seront rien sans l’adoption d’un état d’esprit et de valeurs intrinsèques où la communication est enfin délivrée des oripeaux cosmétiques des marchands du temple avec Rolex au poignet, bronzage et dents blanches. Un habeas corpus où la communication est libérée des slogans incantatoires de propagandistes de salon, où la communication est expurgée des manœuvres intoxicantes des spins doctors et des maniaques de l’agenda médiatique.

C’est cette vision de la communication que nous devons porter collectivement avec conviction et passion pour que notre métier puisse répondre efficacement aux défis sociétaux qui lui sont lancés. Elle s’inspire pleinement de la citation du chercheur en sciences de la communication, Dominique Wolton (4) : « Communiquer c’est autant partager ce que l’on a en commun que gérer les différences qui nous séparent ».

Débarrassons-nous de la com’ de papa !

usque dans les années 80/90 et même à l’orée de l’an 2000, les choses étaient relativement simples. D’un côté, les détenteurs du savoir et du pouvoir délivraient leurs messages. De l’autre, les médias se faisaient les réceptacles et les relais plus ou moins conciliants de ce que la France d’en haut disait aux citoyens d’en bas. Même si çà et là, un reportage insolent pouvait sporadiquement écorner la réputation d’untel, les effets collatéraux restaient relativement circonscrits. C’était l’époque où dans un contexte budgétaire plutôt florissant, les entreprises et leurs dirigeants se vedettisaient à tour de bras comme des stars du show biz.

C’était aussi l’apparition des premiers « homo communicatus » dans les organigrammes des sociétés et des lieux d’influence. C’était un temps « bénit » où il suffisait d’affirmer et de mettre en scène pour faire adhérer et rêver. A charge pour les communicants de dresser la table en conséquence, de distribuer les petits fours événementiels à des journalistes en mal de « bons papiers », de célébrer l’ode onirique des grandes réussites et de s’assurer que l’écho médiatique perdure aussi longtemps que nécessaire. Forts de leurs paillettes, de leur entregent et de leur faconde, les « dircoms » et des agences ayant pignon sur rue ont alors pris racine dans l’agora bavarde de la société de l’information. Bygmalion est l’émanation typique de cette bouillabaisse indigeste mais ce n’est pas la seule.

Trois décennies plus tard, les dircoms siègent souvent dans les comités de direction et des agences pèsent lourds en termes d’influence. L’image et la réputation sont clairement devenues des enjeux hautement stratégiques. A tel point qu’elles sont désormais décortiquées, commentées, sondées et même valorisées par des agences de notation financière qui hésitent de moins en moins à les inscrire à la colonne des actifs d’une entreprise au même titre que ses outils de production, ses biens immobiliers ou son cash-flow.

Pas étonnant dans ces circonstances que la communication soit effectivement devenue un viatique incontournable pour encenser la réputation des grands noms de la société. Pour certains qui ne reculent devant rien, la communication peut même servir à faire avaler toutes les pilules et à valoriser à l’envi le discours ou l’action de l’entité qu’ils représentent. Tout est bon pourvu que l’histoire soit belle ! Et si jamais une crise vient gripper le scénario, dircoms et agences se transforment alors de peintre en bâtiment en soldat du feu pour allumer les contrefeux idoines, voire couler le béton du bunker médiatique.

Débranchons les spin doctors

Aujourd’hui, il est plus que crucial de débrancher cette lénifiante et vaine mécanique quantique de la com’ vieille époque. Il est temps que les imposteurs à paillettes et autres obsédés du contrôle psychorigide fassent place à une génération de managers et consultants communicants alertes, empathiques et connectés sur le monde. A l’heure où la récusation des élites et des entreprises est prompte à s’enflammer à la moindre étincelle, à l’heure où le culbuto médiatique versatile adore un jour ce qu’il peut vite brûler le lendemain, à l’heure où n’importe qui peut s’arroger la parole grâce aux réseaux numériques et répandre n’importe quoi avec fracas, il est urgent que les « dircoms » et les agences envisagent leur métier autrement qu’au titre de décorateur en chef, pompier de service et hygiaphone officiel.

En 2013, l’organisme professionnel américain Global Alliance for Public Relations and Communication management a publié une plateforme de réflexion autour du rôle que les communicants vont endosser dans les années à venir. Le triptyque indique clairement que la mallette du spin doctor va devoir céder le pas à des considérations autrement plus subtiles :

Nourrir les valeurs et l’identité intrinsèques de l’organisation

Bâtir une culture de l’écoute et de l’engagement qui n’est plus uniquement centrée sur le département communication mais à travers toute l’organisation.

Instiller et accentuer la responsabilité de l’organisation dans toutes ses dimensions : organisationnelle, sociétale, personnelle et professionnelle.

A l’époque président d’Entreprises et Médias, une association professionnelle française qui rassemble une centaine de directeurs de la communication, Jacques Suart avait précisément commencé à esquisser cette voie nouvelle à emprunter (5) : « Il n’y a plus de magistère de la parole. L’entreprise doit en tenir compte et ses communicants, plutôt que de camper sur une position défensive, doivent accepter de recevoir la contradiction de façon plus sereine (…) C’est la seule façon de faire progresser le débat sur de grands enjeux, développement durable, employabilité, mesure de la valeur où l’entreprise a un rôle de premier plan ».

Urgence à se bouger !

Pourtant aujourd’hui, que véhiculent les médias au sujet de notre métier et que retient le corps citoyen à notre égard ? La réponse est cinglante. Nous sommes des carambouilleurs tout gonflés de leur morgue qui refourguent des conseillers communication à la botte dans les ministères et les grandes entreprises. Nous sommes des tripatouilleurs qui alignent les euros et les zéros comme on fait une collection de timbres, en violant si besoin toutes les règles régissant les appels d’offres et en s’asseyant sur les conflits d’intérêt.

Est-ce vraiment cette réputation calamiteuse que nous voulons voir continuer de perdurer, nous les professionnels de l’image ?

Qu’on coupe enfin ces branches pourries qui dévoient la valeur ajoutée apportée au quotidien par des centaines d’agences de communication et de dircoms où le sens et l’éthique sont des piliers non-négociables dans leurs relations avec les clients et les dirigeants. Que l’affaire Bygmalion soit l’opportunité de nettoyer le plancher et de mettre au rebut ces Diafoirus de la com’ tout juste bons à pérorer sur les plateaux de télévision, jouer du carnet d’adresses et s’étourdir de liaisons dangereuses dans d’improbables missions de communication. Que les obsédés de la Rolex à 50 ans qui voient Internet comme la plus « grande saloperie de tous les temps » cèdent la place à des esprits plus subtils et chevronnés où la communication ne se résume pas à jouer les oracles sous les lambris élyséens et dans les talk-shows en vogue. La communication est un métier qui mérite immensément mieux que les errements pitoyables de Bygmalion ou bien les forfanteries de quelques grandes gueules qui n’ont pas dû rédiger depuis longtemps une recommandation stratégique tant ils pensent que le carnet d’adresse reste le meilleur extincteur. A tous cela, il faut dire de partir, d’éteindre la lumière et de laisser ceux qui œuvrent avec des valeurs pour leurs clients. C’est urgent !

Sources
1 – Ignacio Ramonet – La tyrannie de la communication – Edition augmentée – Gallimard – 2001
2 – Ibid.
3 – « La grande édition » – i>Télé – 17 avril 2013
4 – Dominique Wolton – Informer n’est pas communiquer – CNRS Editions – 2009
5 – Jacques Suart – « Entreprises : communiquer dans la crise » – Les Echos – 17 novembre 2009
Pour en savoir plus

– Marc Endeweld – « Bygmalion : le listing intégral des conventions bidons de l’UMP » – Marianne – 13 juin 2014
– Benjamin Meffre – « Affaire Bygmalion/France Télévisions » – Ozap – 11 juin 2014

Merci à Olivier Cimelière pour la publication de son article : Bygmalion & spin doctors

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