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La méfiance, une tradition française ? Les chiffres nous apportent un éclairage précieux, à la fois sur nos tropismes nationaux, et la pertinence de la communication de notre Président…
Laurence Gabriel, CEO & François Ramaget, Directeur de la stratégie – Agence Gen-G.
La crise de la COVID-19 a mis à l’épreuve la popularité de tous les gouvernants. Durant ce premier semestre inédit dans l’histoire de nos sociétés, elle leur a permis d’affirmer leur leadership dans des conditions extrêmes – mais elle a surtout mis en lumière la valeur qu’ils accordent à l’humain et à l’économique dans les difficiles arbitrages dictés par le virus.
Les chiffres fournis par l’Institut américain Morning Consult, sur le taux d’approbation des dirigeants de 10 grands pays, sont révélateurs des effets très dispersés de la COVID sur la confiance des citoyens. Certains gouvernants ont su gérer la crise pour consolider une stature de protecteur de la Nation. Quand d’autres se sont vus lourdement désavoués par leur peuple… Ainsi, les Australiens, Allemands et Canadiens ont largement plébiscité la conduite de leur leader durant cette crise, avec des taux d’approbation qui ont bondi de façon spectaculaire. A l’inverse, Brésiliens et Mexicains affichent une défiance accrue envers leurs Présidents. Ces derniers n’ont manifestement pas su prendre les meilleures options pour la santé de leur pays. D’autres enfin ont une perception plus partagée de l’attitude de leurs dirigeants. Cela conduit à un phénomène d’oscillation de la confiance au fil des semaines. Et c’est notamment le cas de la France.
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La méfiance, une tradition française?
Les chiffres nous apportent un éclairage précieux, à la fois sur nos tropismes nationaux, et la pertinence de la communication de notre Président.
La France se caractérise par sa culture de la critique, en toutes circonstances. Au début de cette année, avec un taux d’approbation de 28%, le Président Macron se situait au dernier rang des dirigeants examinés dans cette étude. Un rang qu’il améliore à peine à l’issue du semestre avec 30% d’approbation. Il devance un seul de ses pairs, le premier Ministre japonais, sur l’échelle de la défiance.
Trois ans après son élection, tout se passe comme si le noyau de ses soutiens se résumait encore à son électorat du premier tour des Présidentielles. La crise lui a néanmoins valu un éphémère regain de popularité. Il culmine ainsi à 36% sur la première quinzaine d’avril, avant de retomber à l’étiage en cette fin de semestre. Mais comment expliquer ces variations de la confiance ?
Deux mois d’atermoiements
Le Président Macron a débuté l’année avec une forte note de défiance, liée à la grogne d’une large partie de la population. Gilets jaunes, grèves des transports, malaise de l’hôpital… Les sujets de mécontentement ne manquent pas à l’heure où la Chine découvre les premiers cas officiels d’une maladie encore inconnue. Les premiers malades sont signalés en France dès le 24 janvier mais le virus apparait encore comme une menace lointaine. Aussi la Ministre de la santé peut-elle démissionner le 16 février pour tenter de s’emparer de la Mairie de Paris. Tandis que le gouvernement, lui, se concentre sur la réforme des retraites qui devait alors être décrétée sans vote…
Avant même que le virus n’entre en scène, le taux d’approbation du Président est au plus bas en date du 3 mars. Mais la COVID se propage et bouleverse les priorités. Le 12 mars, le Président prend solennellement la parole pour annoncer la fermeture des écoles ainsi que le maintien controversé du premier tour des élections municipales.
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Guerre au virus
Le 16 mars marque un tournant dans l’histoire de cette crise avec l’adresse du Président qui martèle 7 fois le mot de « guerre » pour annoncer le confinement, les règles de distanciation sociale et le gel de l’économie. Assortie de mesures radicales de soutien aux salariés et aux entreprises, cette décision est saluée par une hausse vertigineuse du taux d’approbation du Président, qui passe de 25% à 36% entre le 10 mars et le 7 avril.
Il est vrai que le gouvernement ne ménage pas ses efforts avec la prise en charge intégrale du chômage partiel (13 mars) et le lancement d’un programme massif de prêts aux entreprises garantis par l’Etat (25 mars). En dépit d’une incessante polémique sur le manque de masques, les Français approuvent alors beaucoup plus largement une politique qui donne clairement la priorité à la santé tout en s’efforçant de préserver l’ensemble des acteurs.
L’embellie du printemps
Alors que l’épidémie commence enfin de reculer, le Président reprend la parole le 13 avril pour fixer un horizon au confinement, la date du 11 mai. Il rend hommage au personnel soignant et annonce le maintien des mesures de soutien économique. Et il recueille encore ce jour-là une large approbation des français. Les salariés télétravaillent et les entreprises profitent d’une bouffée d’oxygène. Le pays garde confiance. Et ce regain se poursuivra jusqu’à la fin du mois de mai.
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Une sortie de crise compliquée
Mais, dès le 12 mai, au lendemain même du déconfinement, le taux d’approbation du Président recommence de se détériorer … La cause en est certainement la crainte des licenciements et défaillances d’entreprises. Et tout cela en dépit des aides de l’état, pronostiquées par la bouche même du Ministre de l’Economie (22 mai). Dans le même temps, les décideurs évoquent la nécessité de « travailler plus » pour relancer la machine de l’économie. Et c’est une question difficile quand on sait que la stratégie conduite par le Président aura couté près de 500 milliards de dépense publique. Et en permettant notamment à près de 13 millions de Français de bénéficier du chômage partiel.
Pour autant qu’on puisse en juger à date, la stratégie du Président a fonctionné en termes de santé publique. Selon les chercheurs de l’Imperial College, la France aurait évité près de 700,000 décès grâce aux mesures sanitaires. Et elle est donc le pays d’Europe où le plus de vies ont été épargnées. En protégeant à la fois la santé et l’économie, le Président aurait pu prétendre au statut de sauveur de la Nation.
Les Français en ont décidé autrement ! En dépit de ce bilan, le taux d’approbation du Président n’a progressé que de 2% à la fin du semestre. Dans le même temps, la côte de Mme Merkel grimpait de près de moitié à 57%. Et celle d’un Trump se maintenait sur la ligne des 40% dans un pays où la COVID continue de galoper …
Certes, la communication n’a pas été toujours fluide en cette période d’extrême tension. Et le « monde d’après » s’annonce très compliqué. Le gouvernement devra s’atteler à la revalorisation du travail et à la réforme des retraites. Tout cela en maintenant la compétitivité des entreprises. La communication restera de facto un exercice très difficile. Mais la COVID nous aura confirmé la dureté de jugement des Français envers leurs gouvernants. Dans le monde d’avant comme dans le monde d’après, nous demeurons les leaders internationaux de l’esprit critique.
Illustration: Adobe Stock – health, safety and pandemic concept – group of people wearing protective medical masks for protection from virus – Par Syda Productions