#JaimeLaCom
A priori nous sommes plus proche de l’oxymore lorsque mesure et influence sont réunis que de l’invocation à une consommation plus mesurée. L’influence est désormais associée trop facilement à des images de starlettes de plateau TV, ultra-maquillée et vantant les mérites d’un sèche-cheveux ou d’une recette de cocktail sans alcool. Hélas pour celles et ceux qui prennent la parole pour tenter d’influencer leurs congénères, leurs collègues ou leurs pairs, vers un changement d’attitude, de comportement ou de les inspirer à progresser dans leur pratique professionnelle.
Aujourd’hui la démesure du propos, l’exagération des poses face à la caméra, le recours au montage, aux filtres de toute sorte, vise la séduction immédiate. La réflexion n’est pas la meilleure amie des influenceuses. Nous le savons bien. Pire encore, il semble bien que l’outrance, l’augmentation de la réalité, soient devenues des clés de succès. Faut-il s’en étonner lorsque nous sommes hésitants devant la sortie de l’ère de surconsommation dans laquelle nous étions depuis 2 ou 3 générations. A en croire les philosophes qui se penchent sur la question de notre attirance pour l’excès, cela vient de loin. Pourtant, nous devrions nous souvenir que très longtemps en arrière, certains humains vivant dans une société harmonieuse, avaient érigé la mesure en vertu.
Pourrait-on influencer en nous exprimant avec mesure ?
La question mérite certainement que l’on s’arrête un instant sur la mesure. Transformée en performance au sens des KPI ou du ROI, si cher au marketing, la mesure est à présent orientée sur le résultat. « Peu importe le flacon pourvu qu’on est l’ivresse » disait déjà Alfred de Musset. Diffuser des contenus, des textes, des vidéos le plus souvent possible semble être la solution prônée par ceux qui mesurent leurs progrès en nombre de likes et de vues sur les plateformes sociales. Diffuser encore plus de films publicitaires, envahir et interrompre les loisirs de cibles consommatrices à chaque instant, est une stratégie qui produit une augmentation des ventes, quoi qu’il en coûte. La mesure n’est plus la même. Elle donne maintenant l’idée, l’envie d’en faire davantage pour améliorer un score.
Lorsqu’on mesure l’influence avec des indicateurs de volume, alors plus la communauté est importante et plus on espère un bon résultat. C’est donc ainsi que seraient classés les influenceurs. Ce qui choque nos consciences, c’est la conviction que pour en arriver à compter les followers en million, il faut soit être une personnalité hyper médiatisée soit prêt à publier à peu près tout et à faire de sa vie un spectacle permanent.
Or il semble tout de même que d’autres personnes sont influentes sans se vautrer dans de telles pratiques. Leur influence provient le plus souvent de la qualité de leur expression. Et ce n’est pas tant une question de forme qu’une question de profondeur ou de hauteur de vue sur un sujet précis. Il en va ainsi de Jean-Marc Jancovici, ingénieur de formation, de Charles Pépin, philosophe de la rencontre, de Greta Thunberg, étudiante, ou encore de Maïwenn, réalisatrice et actrice de cinéma. Aucune, aucun de ceux-là n’imagine devoir nous abreuver d’un flot continu de discours, de textes engagés ou de vidéos tournées dans leur salle de bain.
La question de la pertinence devient alors centrale.
Si ces gens sont devenus connus n’est-ce pas parce qu’ils avaient quelque chose à dire et qu’ils ou elles le disent mieux que nous ? Pourtant, nous aussi nous aimerions nous exprimer et gagner en influence. Les dirigeants d’entreprise se doivent même d’y parvenir, à la fois pour inspirer confiance au marché et pour attirer des talents dans leurs sociétés. Si nulle n’est né pertinent, il est tout à fait possible à chacun de le devenir.
Alors se pose la question de fond : comment construire patiemment son influence ?
C’est un objectif de long terme. Aucune des personnes citées plus haut n’est devenue influente du jour au lendemain. Aucune n’a abandonné ses convictions, ses engagements en cours de route, ni depuis qu’une audience les suit et les écoute. Jour après jour, ils ont travaillé pour atteindre cette pertinence qui les a rendus remarquables. Contrairement à ce que recherchent partout les marketers et les communicants pressés par le temps et les indicateurs, il n’y a pas de « quick win », ni de recette miracle, pour la pertinence. Et il ne sert pas à grand-chose de s’agiter chaque matin pour publier un post ou un article aussi creux qu’un puits sans fond.
Et la mesure dans tout cela ?
Les prises de paroles des personnes qui ont une influence sur nous, ne sont pas nécessairement neutres. Elles ont souvent un caractère affirmé et porte des valeurs, un engagement fort et clair. Pour autant, elles doivent être dans l’ouverture et dans la retenue.
Ainsi la mesure est dans l’ouverture. Elle est dans l’acceptation du débat, la reconnaissance d’un savoir finalement limité et que d’autres peuvent enrichir. La mesure est dans la recherche de cette conversation qui animait la Grèce antique ou les salons littéraires, et qui parfois donnait naissance à de nouvelles idées.
Enfin, la mesure est dans la retenue. Celle de ne rien dire lorsque l’on n’est ni dans son sujet, ni dans la pertinence attendue. C’est sans doute ce qui est le plus difficile à comprendre. Il faut s’exprimer pour devenir influent mais il faut le faire avec en tête l’exigence croissante de l’audience touchée.
Nous croyons que l’être humain est en attente de davantage de pertinence que d’abondance de platitudes. Nous espérons que les leaders, les dirigeants, joueront ce rôle et propageront autour d’eux des messages qui nous rendront meilleurs.
Tribune de :
– Patrice Laubignat – co-fondateur de Word About You
– Sandrine Monette – co-fondatrice de Word About You