Culture RP a rencontré Caroline Sauvajol-Rialland, maître de conférences à l’Université Catholique de Louvain et à Sciences Po Paris, chercheuse au LASCO (UCL) et directrice de SO COMMENT.
Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots ce qu’est l’infobésité ?
Il s’agit d’une analogie entre l’information et l’obésité, la maladie reconnue par l’OMS. Le terme a été inventé en 1996 par David Shenk. L’infobésité signifie que la surcharge informationnelle dont nous sommes victimes pourrait avoir sur nous des effets aussi nocifs que la maladie de l’obésité en venant perturber nos processus cognitifs. L’obésité est une maladie dont le seuil déclenchement est objectif, défini par l’indice de la masse corporelle et le ratio poids/taille. C’est moins simple à qualifier au niveau de l’information puisque l’infobésité est subjective… Son ressenti dépend de nos facultés cognitives personnelles. Ainsi certaines personnes se sentent en surcharge à partir de quarante mails par jour quand d’autres peuvent supporter jusqu’à cent mails par jour… Il n’en demeure pas moins que 75% des cadres aujourd’hui disent souffrir d’infobésité. Le ressenti est collectif !
Un symptôme de la génération Y ?
Pas particulièrement. Mais je m’érige contre une idée reçue : celle que la génération Y sait mieux gérer l’information que la génération X. S’il est vrai que les jeunes ont une plus grande maîtrise de la gestion combinée de plusieurs médias/outils de communication, je remarque qu’ils sont moins critiques, moins distancés par rapport l’information que la génération précédente. En revanche, si l’infobésité est le symptôme de quelque chose, c’est celui d’un malaise au travail. Un malaise lié à l’obligation de connexion permanente à son environnement de travail… Nous vivons dans l’interpellation permanente. C’est une nouvelle contrainte. Auparavant quand on parlait de rupture technologique, il s’agissait de distinguer les personnes connectées à internet et celles qui ne l’étaient pas. Aujourd’hui la rupture technologique distingue les personnes qui ont la possibilité de se déconnecter (du fait de leur statut social et/ou de leur position hiérarchique) et les « nouveaux pauvres » des TIC qui n’ont pas cette possibilité et qui vivent dans l’interpellation continue. C’est une nouvelle forme de servage moderne comme le dit très justement Jean-Emmanuel Ray.
Les nouvelles technologies ont-elles accru ce phénomène ? Et en même temps, peuvent-elles aussi être la solution pour mieux gérer la surcharge informationnelle ?
Les NTIC ne sont pas plus responsables de l’infobésité qu’elles n’ont la capacité, seules, à les résoudre… Il est vrai que l’on attendait des TIC qu’elles améliorent les flux d’informations et les processus décisionnels. Et de fait, par leur utilisation souvent non conforme à leurs usages, en tout cas leur pratique majoritairement « autodidacte », les TIC ont abouti à la situation inverse. Elles génèrent de la surinformation. Il est plus que temps de se professionnaliser en mode collectif à l’utilisation des TIC. Et pour les directeurs des systèmes d’information, au-delà de la mise à disposition d’un nombre toujours plus important d’outils – d’où l’effet millefeuille – de remettre au centre de leur préoccupation la question de l’utilisateur et de ses besoins… Le poste de travail unifié est en tout cas une piste prometteuse pour l’avenir. De même que la curation de contenus qui est en plein boom ces dernières années.
Dans ce contexte, comment gérer et sélectionner au mieux l’information ?
Le nombre d’informations disponibles ne va pas cesser d’augmenter. Et nous ne disposerons toujours que d’un seul canal d’attention… L’exhaustivité est un concept obsolète dans un monde numérique. L’enjeu majeur est donc de passer d’un mode de traitement de l’information de type réflexe et conjoncturel – par ordre d’urgence – à un mode de traitement structuré et organisé. Et de se constituer, en fonction de ses besoins, un système d’information personnel et écologique. Nous devons devenir pour nous-mêmes nos propres directeurs de l’information.
Pourquoi est-il important de bien maîtriser et contrôler l’information ?
On dit que nous sommes ce que nous mangeons, nous pourrions aussi dire que nous pensons ce que nous lisons… Un homme qui lit n’importe quoi est un homme intoxiqué ! La junk information a remplacé la junk food. En qualité de citoyen, en qualité de professionnel, nous nous devons d’avoir un niveau d’exigence sur la qualité de l’information que nous lisons et que nous émettons.
A lire l’interview de Caroline Sauvajol-Rialland : « l’infobésité, risques et astuces pour ne pas se laisser déborder »
Comprendre et maîtriser la déferlante d’informations
Caroline Sauvajol-Rialland
Ed Vuibert – Avril 2013 – 208 pages
ISBN : 978-2-311-01058-9
Propos recueillis par Magali Bernier