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La relation est fragile en ce qu’elle perd de sa signification pour l’avenir. Si nous n’aimons plus ce qui était si désirable hier…
Patrice Laubignat, Conteur d’histoires et créateur de sens chez EforBrands
49 jours sans sortir. Toutes ces semaines sans se voir. Et puis un jour, c’est déjà fini. Le temps de la reprise est venu. Pourquoi sommes-nous surpris par tout ce temps désormais derrière nous ?
Allons-nous vivre dans un autre temps, ouvrir une nouvelle ère ? Aurons-nous pris le temps de nous y préparer, de nous changer pour y paraître meilleurs ?
La crise est là, nous le savons sans la voir, nous l’anticipons pour nous faire peur. Et nos clients ?
Quand tout a commencé, de nombreux conseillers des temps de crise nous ont dit qu’il était avisé de profiter de cet arrêt brutal de nos activités laborieuses pour prendre le temps de lire, voire d’écrire. D’autres communicants nous ont affirmés qu’il fallait absolument entretenir la relation avec nos clients, en leur donnant à lire ou à regarder pour leur signifier notre existence. Ne courrions-nous pas le risque de disparaitre après tout ce temps ? Quelques semaines sans se voir, sans se parler, sans lire notre newsletter, voilà qui pouvait vite se transformer en oubli, ou en abandon. Les marquent sont comme les humains, elles ont peur de mourir dès lors qu’elles considèrent que le temps est toujours trop court. Ce temps entre deux commandes, ce temps que nous passons à visiter un site internet ou à regarder une vidéo, ce temps d’attention que nous pouvons leur consacrer, ce temps entre deux relevés des compteurs de like ou de vues. Un temps devenu instantané comme sur Instagram ou Tik Tok, un temps devenu liquide, inarrêtable, insensible à nos difficultés à l’apprécier comme à le maudire.
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Et pourtant, nous n’avons jamais eu autant besoin de temps que maintenant !
La relation que nous entretenons avec les marques est symbolique de notre époque. Elle n’a jamais été aussi forte et aussi fragile à la fois. Forte parce que nous espérons des marques, qu’elles soient responsables et qu’elles corrigent nos erreurs : 63% des français font confiance aux marques qui leur proposent des produits durables. Forte parce que nous espérons qu’elles seront capables de redonner du sens à nos comportements de consommateurs : les entreprises à mission, telle la MAIF, pourront-elles inspirer les autres à suivre cette voie ? Ainsi 83 % des français estiment qu’il est de la responsabilité des entreprises de réduire leurs impacts pour limiter le risque qu’une nouvelle crise survienne (selon la même étude publiée par GreenFlex post confinement du covid-19).
Paradoxalement la relation est fragilisée. La distance sociale est une forme désaffection. Elle l’est d’autant plus que l’attente est immense. Nous aimerions que les marques nous aiment d’abord. La temporalité de nos relations est en pleine mutation. Tout peut les remettre en cause, les effacer de notre mémoire vive et les reléguer au rang de vague souvenir que seul Facebook serait capable de ressortir du passé avec ce manque de respect pour l’oubli devenu l’apanage des partisans du retargetting et de l’automation marketing. Or nous avons besoin du temps soit pour oublier nos anciennes relations, soit pour apprécier celles que nous préférons et que nous voudrions justement préserver de l’oubli. La relation est fragile en ce qu’elle perd de sa signification pour l’avenir. Si nous n’aimons plus ce qui était si désirable hier, c’est probablement parce que nous n’en voulons plus pour demain. En d’autres termes, plus nous désirons passer à autre chose, changer nos comportements humains, poussés par l’optimisme d’un paradis à atteindre ou la peur d’un horizon incertain, plus nous devons oublier avant d’aimer. Concernant les marques, il semble assez clair que nous sommes en surcharge, et que telles des montgolfières en passe de s’écraser au sol, nous sommes dans l’urgence de lâcher du lest. Trop de relations tue la relation !
Et tandis que nous entrons dans l’après, pourquoi faudrait-il perdre notre temps à nous souvenir d’hier ?
Hier nous courions en tous sens pour aimer ceci ou cela. Hier nous dispersions nos likes sans compter, sans nous soucier de leur acuité. Hier les marques étaient essoufflées par la course à la part de marché, au gain de notoriété et au nombre de followers. Autant d’indicateurs de performance qui ont été balayés par la crise. Autant de signes de vanité qui ne résistent pas au temps. Oublions ces années folles ! Regardons devant nous, et plus loin que le bout de nos statistiques périmées. Plus loin comment ?
C’est dans ces moments que la force de l’histoire se révèle à nos yeux d’enfants. L’histoire est le temps. Raconter une histoire requiert un partage d’attention entre le conteur et son audience. Un moment qui se propage au fil du temps, dès que l’un porte le message à l’autre, dans un mouvement infini. Parce que nous avons toujours une histoire d’après à raconter, parce que nos réserves d’histoires sont inépuisables tant nos récits se régénèrent à chacune de nos rencontres ou de nos découvertes, nous aimerons encore demain. Si nous donnions du temps à nos histoires, nos relations dureraient davantage. La relation que nous souhaitons vivre avec les marques, au-delà du plaisir, de l’amour, doit nous aider à prendre le temps de vivre le temps présent mais aussi d’imaginer le temps d’après plus sereinement. Car à vouloir vivre dans le présent, nous basculons trop vite dans le passé, comme nous l’expliquait avec malice Jean d’Ormesson (dans Presque rien sur presque tout – paru en 1998). Le futur est beaucoup plus excitant à la fois par son incertitude et sa dimension temporelle échappant à toute mesure. Il me semble que la fin d’une histoire joue le même rôle. Elle nous projette en avant. Alors que le héros s’est transformé au fil des péripéties, la fin de l’histoire qu’il porte nous ouvre les portes de l’avenir. Qu’allons-nous faire de cette révélation ? Comment allons-nous imaginer la suite ?
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En délivrant l’histoire d’après les marques devraient nous proposer un horizon lointain, indéfinissable, et rassurant en cela même que nous aurions envie de le rejoindre. Pour réussir cette performance, il faudra prendre du temps. C’est pourquoi Il devient impérieux pour elles, de montrer l’impact de leurs actions durables. L’impact n’existe que dans le temps. La mission de la marque devient ainsi une amélioration durable de la vie des clients, et non plus un gain sporadique et périssable (comme le sont hélas pratiquement toutes les offres promotionnelles et toutes les actions marketing poussant à l’achat par extension). D’ailleurs, la relation affective ne supporte pas l’ultimatum. Je ne sais pas dire quelle sera sa durée (et tant pis pour les fans de « l’amour dure trois ans » de Beigbeder), et c’est ce qui fait sa beauté. Si j’aime une marque aujourd’hui, je l’aimerais certainement tant qu’elle n’aura rien fait qui m’invite à la ranger au fond de mon armoire à souvenir. Elle peut me faire confiance ! Encore faudrait-il qu’elle me soit fidèle…
Nous le savons depuis que nous étudions le cerveau humain, l’incertitude et les épreuves dont nous sortons vivant, renforcent nos liens affectifs et note fidélité. Les marques peuvent, elles aussi, traverser des crises. Reste pour ces marques à raconter notre avenir commun, en nous donnant du temps pour l’envisager sans précipitation. La respiration, les silences sont indispensables au narrateur, au conteur comme au poète. L’histoire mérite mieux qu’un instant. L’histoire est un temps long.
Si nous imaginons des lendemains souriants en découvrant les histoires des marques, il ne fait pas de doute que nous les aimerons encore longtemps.