Bruno Racouchot, Directeur de Comes Communication et de Communication & Influence a interviewé Ludovic François et Romain Zerbib (docteurs en sciences de gestion et respectivement professeur affilié à HEC Paris et professeur au groupe IGS). Dans l’entretien ils expliquent notamment que :
Si l’influence n’est pas toujours intentionnelle, les processus d’influence sont eux, en revanche, souvent instrumentalisés.
D’où leur approche des stratégies d’influence comme une allocation de ressources informationnelles et une mobilisation de vecteurs visant à orienter les attitudes et les comportements d’individus ou de publics en agissant sur leurs perceptions.
Influentia (1) constitue un gros travail de réflexion sur le concept d’influence, qui rassemble de nombreuses et prestigieuses contributions. Quel était le but poursuivi?
Nous avons souhaité présenter une approche globale de l’influence, en disséquant les mécanismes qui en douceur et souvent subrepticement, vont interagir et aboutir à modifier une réflexion et surtout un comportement. Et ce aussi bien sur le plan économique (comment convaincre une cible d’acheter un produit) que politique (de quelle façon faire évoluer un électorat dans son vote) ou militaire (de quelle manière « vendre » une guerre à un public ou dégrader l’image de l’adversaire). Pour décliner la palette complète de toutes les formes que peut prendre l’influence dans les activités humaines, nous sommes ainsi allés à la rencontre de très nombreux praticiens et théoriciens, français et étrangers, notamment de grandes figures d’outre-Atlantique qui ont donné corps au concept de soft power.
En préambule, il nous a d’abord fallu rappeler ce qu’était l’influence dans ses différentes acceptions. Être sous influence apparaît d’emblée comme quelque chose de négatif. Est-ce perdre son libre-arbitre sous le fait d’influences extérieures ? Est-ce laisser libre-cours à une fascination pour ce que nous souhaiterions être, par exemple un artiste ou un « people » ?
Est-ce positif ? Négatif ?
Dès lors, comment établir un distinguo entre influence, conviction, séduction, désinformation, manipulation… ?
De fait, l’influence nous apparaît comme un processus éminemment complexe. Son champ est celui des relations interpersonnelles, que l’on
envisage ici le cas des personnes physiques ou des personnes morales. Ce que l’on constate, c’est que l’influence s’impose comme une interaction sur le processus de décision qui a pour résultat, tangible ou escompté, une modification des intentions. C’est là indéniablement un processus complexe à appréhender, car diffus et sujet à de multiples interactions, qui joue en outre sur différentes échelles de temps et sur
d’innombrables registres comportementaux. Ce jeu, déjà initialement compliqué, a été rendu encore plus complexe avec l’explosion du numérique et du phénomène « tous médias ». On en arrive ainsi à ce paradoxe que tirant leur toute-puissance des ressources de l’immatériel (idées, codes, croyances, représentations…), les jeux d’influence en viennent à avoir une action très concrète dans le monde réel, en annihilant, neutralisant ou favorisant telle ou telle position.
Vous avez accordé dans votre ouvrage une large place aux stratégies d’influence. Pourquoi ?
Avoir une influence n’est pas toujours intentionnel, mais il arrive en revanche bien souvent que les processus d’influence soient instrumentalisés. Joseph Samuel Nye, père du concept de soft power – qui nous a fait l’honneur de nous accorder une tribune dans l’ouvrage – aime à rappeler que le but de cette politique est de « séduire et persuader », autrement dit cibler les cœurs et les esprits, afin d’influer sur
les comportements, les rendre favorables sans avoir recours à des moyens coercitifs, relevant eux du hard power. C’est cette dimension intentionnelle de l’influence que nous avons choisi de privilégier dans notre ouvrage. Dans cette perspective, nous définissons les stratégies d’influence comme une allocation de ressources informationnelles et une mobilisation de vecteurs visant à orienter les attitudes
et les comportements d’individus ou de publics en agissant sur leur perception.
De fait, une stratégie d’influence va se construire en procédant à l’instrumentalisation de normes, de valeurs, de croyances. Sur le fond (teneur du message) comme sur la forme (adhésion au vecteur utilisé pour diffuser le message), trois facteurs vont être déterminants pour
assurer l’efficacité de la démarche d’influence : le système de règles institutionnelles, le mimétisme et la quête de légitimité. C’est en respectant ces paramètres et ce mode opératoire que rapidement ou peu à peu, mais toujours en douceur ou subrepticement, l’influenceur va s’immiscer dans les processus décisionnels de l’influencé, infléchir son jugement et modifier son comportement.
Pour la suite de l’entretien veuillez cliquer ici
(1) INFLUENTIA est le premier ouvrage entièrement dédié au décryptage des stratégies d’influence (relations publiques, lobbying, publicité, gestion de crise, communication politique, etc.). Au-delà des questions techniques, il s’intéresse également aux problématiques éthiques que soulève l’omniprésence des professionnels de l’influence dans notre société ultra médiatisée en réunissant les 10 des plus grands experts mondiaux sur le sujet.