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« Nous voulons que l’éco-conception numérique soit traitée comme l’a été l’accessibilité numérique : une loi, un référentiel et des formations professionnelles adaptées : et on va y arriver ! »
Frédéric Bardeau, Cofondateur Simplon.co
A l’échelle de l’internet mondial, les terminaux concentrent 65 % du bilan énergétique, 67 % des émissions de gaz à effet de serre, 73 % du potentiel d’épuisement des ressources naturelles non renouvelables et 82 % de la consommation d’eau.
Nous avons mis à jour notre étude de 2015, les résultats préliminaires sont les suivants (ils seront publiés officiellement en oct. 2019) :
Empreinte globale :
● Energie (EP) : 4,4 % / GES : 4,2 %
● Eau : 0,2 % / Elec. : 6,0 %
Poids des terminaux :
● Energie (EP) : 66 % / GES : 67 %
● Eau : 834% / ADP : 76% ∗
Parrainée par la Fondation Simplon et dans le cadre d’une conférence et exposition photographique de Kai Löffelbein qui s’est déroulée en avril à la mairie du 2ème art de Paris, nous avons pu être mis en question sur notre emprunte écologique quotidienne ainsi que sur les solutions proposées pour faire de l’éco-conception numérique une réalité d’avenir !
Culture RP a proposé une interview croisée à Frédéric Bardeau, Cofondateur Simplon.co et Frédéric Bordage, Fondateur de GreenIT.fr et animateur du Collectif conception numérique responsable sur ce qui sera sans doute une question prospective ou comment faire plus avec moins de ressource !
Qui êtes vous, quels sont vos parcours, l’ADN et convictions de vos entreprises ?
F Bordage : Bonjour. Je suis l’un des experts de référence en France et en Europe, sur le thème du numérique responsable qui regroupe le Green IT, l’IT for Green et la conception responsable des services numérique. J’ai lancé la communauté GreenIT.fr en 2004 qui fédère aujourd’hui les acteurs du numérique responsable. Avec Simplon et une centaine d’autres contributeurs, nous proposons au sein du Collectif conception numérique responsable, des outils opérationnels pour éco-concevoir les services numériques et donc créer plus de valeur tout en réduisant significativement leurs impacts environnementaux.
F Bardeau : Bonjour. Je suis entrepreneur social récidiviste, passionné par le pouvoir d’émancipation et de transformation du numérique. Avant Simplon j’officiais dans le monde de la communication et du marketing numérique responsables pour des ONG, associations et fondations. Maintenant, c’est la création d’emploi, ou la préservation d’emplois, dans les territoires et les entreprises, grâce aux compétences numériques, et l’IT for good qui m’occupe avec Simplon qui est déployé en France et dans 15 pays désormais.
Quelles sont les évolutions métiers qui ont eu le plus grand impact et de ce fait vous on permis de réfléchir et d’engager une réflexion pour réduire l’empreinte environnementale du web pour les entreprises et pourquoi en est-on arrivé-là ?
F Bordage : ce n’est pas l’évolution de mon métier mais un accident de parapente qui m’a amené à engager une réflexion sur le sujet. Pour me reconstruire, j’ai dû m’aligner sur mes valeurs profondes. En 2004 j’ai lancé GreenIT.fr. Après avoir fait naître le sujet en France et structuré la communauté, une rencontre avec Frédéric Lohier nous a amené à quantifier le phénomène d’obésiciel. Les résultats de notre étude exclusive, publiée en 2010, a lancé le mouvement. Nous avons enchaîné sur les premières conférences, concours d’éco-conception web, etc.
En 2010, la Banque Cantonale de Fribourg (BCF) a souhaité que Breek et GreenIT.fr lui créent un référentiel d’éco-conception web pour être la première en Europe (et peut être dans le monde) à afficher un site web éco-conçu. La BCF a accepté de reverser ce livrable dans le domaine public sous la forme d’un livre : « éco-conception web : les 115 bonnes pratiques ». Il a connu un grand succès et a été le point d’agrégation de la communauté francophone. Très vite épuisé, nous avons publié une seconde édition en 2015 qui est le fruit du travail de 40 contributeurs. Puis nous avons ajouté de nombreux outils : certification d’individu en collaboration avec l’Université de La Rochelle, système d’évaluation de l’empreinte environnementale et de la maturité d’ un site web, des extensions pour Firefox et Chrome, les services en ligne ecoindex.fr et ecometer.org, etc. La richesse de la boîte à outils de la communauté est liée à la centaine d’organisations contributrices qui ont des profils très différents.
F Bardeau : Personnellement ma prise de conscience des enjeux environnementaux liés au numérique est très récente. Elle s’est faite brutalement suite à une conférence LUCIE où je suis intervenu juste après Gauthier Chapelle. Ensuite, plus rien n’a jamais été pareil. Chez les geeks et dans le monde de la tech, l’impact écologique du numérique c’est l’éléphant dans la pièce : tout le monde le voit ou le sent mais personne n’en parle. A Simplon on a décidé de faire notre part et de faire du plaidoyer avec Fred Bordage et le collectif numérique responsable, avec la Fondation Simplon et de former l’ensemble de nos développeurs à ces problématiques. Côté usages et matériels, Simplon était déjà bien dans les clous car nous utilisons des ordinateurs re-conditionnés par des entreprises adaptées ou d’insertion – ATF Gaïa et ECODAIR – pour nos salariés et pour les apprenants des formations Simplon.
Pourquoi la renaissance numérique passe par la Low-Tech, un outil de résilience pour tout un chacun, comme pour les politiques publiques, mais aussi pour les développeurs ?
F. Bordage : quand on pratique l’éco-conception de service numérique comme moi depuis plus de 10 ans, on finit par se rendre compte que la sobriété et l’ingéniosité sont les clés fondamentales de l’éco-conception. Depuis des années nous tenons ce discours, pas par idéologie, mais parce que ça fonctionne. Deux exemples : en 1969 nous avons conquis la Lune avec un e-mail (l’ordinateur de bord de la mission Apollo avait une capacité de stockage de 70 Ko). Et l’application m-Pedigree sauve des vies tous les jours en Afrique grâce à un simple SMS. Je propose de plus en plus aux entreprises que j’accompagne de redécouvrir les vertus de la low-tech, à la fois pour les aider à gagner des parts de marché, pour éviter d’exclure (fracture numérique, handicap, etc.) et pour réduire les impacts environnementaux associés.
Selon notre dernière étude, l’empreinte environnementale du numérique mondiale représente 2 à 3 fois celle de la France, soit un 7ème continent. On ne peut pas continuer sur cette lancée, d’autant qu’à ce rythme les stocks de ressources abiotiques (les matières premières critiques pour fabriquer nos équipements numériques) seront vides d’ici une ou deux générations.
Il est donc évident que, compte tenu de l’effondrement en cours (biodiversité, climat, etc.), le numérique envisagé sous sa forme la plus robuste et la plus durable – la low-tech – est un formidable outil pour permettre à l’humanité de sauvegarder sa culture, ses connaissances et ses savoir-faire. Ce qui a permis à l’humanité d’arriver là où elle en est aujourd’hui, c’est aussi sa capacité à s’organiser grâce à des systèmes de communication avancés. Nous ne devons pas perdre notre capacité à sauvegarder et communiquer des informations. C’est vital pour la survie de l’humanité. Bien plus que d’avoir un grand écran plat dans son salon ou une montre connectée à son poignet.
F Bardeau : Je ne sais pas si on peut parler de renaissance, et je pense que ce n’est pas spécifique au numérique. C’est l’ensemble de notre civilisation thermo-industrielle qui doit se réinventer et renaître car elle n’est pas soutenable et elle est mortifère. L’approche lowtech et la sobriété numérique sont les seules voies possible : le solutionnisme technologique est un leurre et résoudre des problèmes crées par la technologies par plus de technologie aussi. Dans ce contexte, les développeurs, les makers et plus globalement tout le monde doit revenir à l’éthique et aux pratiques des hackers originels et devenir des utilisateurs responsables. Etre curieux, bidouilleurs et ne pas abdiquer la maîtrise et la compréhension des outils à leurs concepteurs et s’entourer de dispositifs simples à manipuler, à maintenir, à faire évoluer, à réparer.
Pourquoi le travail photographique de Kai Löffelbein, est structurant quand à un éveil collectif sur le devenir de nos déchets électroniques ?
F. Bordage : le travail de Kai permet de matérialiser et de visualiser les impacts environnementaux et sociaux du numérique des pays développés. Comme dit l’expression : un image vaut mieux qu’un long discours et celles de Kai se passent de commentaire.
F Bardeau : Quand j’ai vu les photos de Kai pour la première fois, je suis “tombé de ma chaise”. Son traitement esthétique est incroyable, digne des peintres flamands, mais la réalité qui est sous son objectif est sordide, le contraste est saisissant. C’était tellement une évidence qu’il fallait que je le contacte pour exposer ses photos à Paris, faire connaître son travail dans le monde de la tech et de l’économie sociale et solidaire : c’est ce que j’ai fait et il a accepté tout de suite.
Quelles sont vos actions de communications pour faire connaître vos démarches ?
F. Bordage : Au sein du Collectif conception numérique responsable, nous venons de lancer une campagne pour sensibiliser les pouvoirs publics à l’importance d’intégrer les problématiques du numérique responsable et de l’écoconception dans les programmes scolaires. C’est capital car nous sommes entrain de créer une génération d’analphabètes du numérique responsable. Or c’est cette génération (nos enfants) qui en subira les conséquences.
Au sein de GreenIT.fr, nous travaillons à d’autres niveaux, avec des acteurs comme l’Ademe, pour sensibiliser les jeunes à cette problématique ou avec le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire pour créer un socle facilitant le passage à l’écoconception par les grandes administrations et entreprises. Nous avons également remis il y a un an le livre blanc « Numérique et environnement » à Mme Brune Poirson et Mr Mounir Mahjoubi, tous deux secrétaires d’Etat, pour les inciter à inscrire l’écoconception et le numérique responsable à l’ordre du jour des travaux du gouvernement. La campagne actuelle de sensibilisation, portée entre autre par Isabelle Autissier (WWF France), Paula Fortezza (députée), et Mathieu Orphelin (député) en est le prolongement.
Enfin, il nous semble critique de mieux informer les entreprises sur le potentiel de création de valeur ajoutée de l’écoconception, d’où notre tribune récente dans Les Echos pour rappeler que la France possède tous les atouts pour se positionner comme le champion du monde de l’écoconception de service numérique. En 2014, malgré nos propositions, nous sommes passés à côté du même enjeu concernant le réemploi (les Pays-Bas notamment ont raflé la mise). Il nous semble critique pour le pays de ne pas louper à nouveau cette formidable opportunité de rayonner à l’international tout en créant des emplois et en réduisant des impacts environnementaux. Saisissons notre chance de créer les Google de demain.
F Bardeau : Nous agissons au travers d’événements, de tribunes, de communication avec les médias et sur les réseaux sociaux : c’est une logique de plaidoyer avant tout. Mais le volet le plus important est “interne” et B2B : nous travaillons sur un MOOC pour sensibiliser les développeurs, les nôtres mais plus largement tous les développeurs, à la conception de services numériques responsables.
Pourquoi selon vous les 17 objectifs de développements durables nous donnent une direction pour un monde meilleur ?
F. Bordage : Pour commencer, les ODD sont intéressants car ils rappellent qu’on ne peut pas opposer social, environnement et économie. Les piliers du développement durable fonctionnent ensemble. Ensuite, c’est une grille de lecture commune qui permet d’articuler et de comparer les politiques nationales des pays membres des Nations Unies. Enfin, le suivi de 244 indicateurs chiffrés permet de rationaliser et d’industrialiser la démarche. C’est une bonne base pour se fixer des objectifs par filière au niveau national et pour identifier les filières à créer. C’est notamment de cadre qu’il nous semble pertinent de créer une filière française d’excellence en matière de numérique responsable et notamment d’écoconception de services numériques.
F Bardeau : Ce qui m’intéresse le plus dans les ODD, c’est d’abord le 17ème objectif : les partenariats. C’est vraiment pour moi le levier clés pour atteindre les autres objectifs. L’entraide, la coopération, la synergie, la mutualisation, la convergence des impacts : voilà la direction que nous devons tous prendre. Parce que personne n’a la solution seul. Ni les Etats, ni les entreprises, ni la société civile ou les ONG. Parce que nous sommes dans un monde interconnecté, dans une biosphère où les frontières sont artificielles, seules les approches supranationales ou internationales, seules les “justice leagues” comme je les appelle en clin d’oeil aux films qui voient plusieurs super héros•héroïnes se mettre ensemble pour combattre un péril qui les dépasse tou•te•s – comptent. Tout le reste c’est du tribalisme, du nationalisme ou de l’égo. L’autre chose très importante à comprendre, et c’est ce qui est le plus contre intuitif et le plus souvent donc ce qui gêne le plus les organisations qui veulent s’approprier les ODD, c’est que ce sont bien TOUS les ODD ENSEMBLE qu’il faut atteindre et viser, pas juste ceux qui nous arrangent, c’est la synergie de la réalisation de tous ces objectifs qui est à atteindre, on ne peut pas “faire son marché”.
∗ Source : Bordage Frédéric & al, Empreinte environnementale du numérique mondial, GreenIT.fr, octobre 2019
Publication à venir de « Sobriété numérique » de Frédéric Bordage, le 12 septembre prochain chez Buchet-Chastel.