#ParoledInfluenceur
« C’est la multiplicité voire la divergence des points de vue
qui créent la valeur des idées. »
Interview de Maria Mercanti-Guérin, fondatrice de Beabilis et Maître de Conférences HDR autour des questions du numérique, du Management de la marque et des enjeux de la communication à l’IAE PARIS – Sorbonne Business School.
Maria, on a l’impression en regardant votre parcours que les nouvelles technologies, le marketing digital, les réseaux sociaux, l’enseignement sont intrinsèquement liés. Qu’est-ce qui vous passionne à ce point, l’universalisme du partage, l’évolution d’un management vertical vers une transversalité de plus en plus complexe, le glissement d’une conscience collective vers une hybridation homme / machine ou seul doit régner non pas la surveillance de chacun mais bien l’émotion du savoir ?
Il y a trois axes qui me passionnent dans le numérique.
Le premier est l’hybridation Homme/Réseau/Machine. Le Web est un espace qui met en relation ces trois entités. L’homme a pensé le réseau qui, à son tour, se fonde sur la machine pour exister de façon immatérielle. Les premiers réseaux physiques sont dépassés par l’immatérialité des réseaux numériques. Ainsi, lorsque l’on étudie l’analyse des réseaux sociaux qui est une discipline mêlant sociologie, mathématiques, informatique et statistiques, on se rend compte des formidables changements qui se sont opérés dans le fonctionnement des réseaux. Les premiers principes sont là, dont l’indice de centralité qui est un indicateur de puissance d’un individu au sein d’un réseau mais les réseaux d’aujourd’hui voient leur puissance décupler.
Ce que je nomme la machine c’est-à-dire le caractère physique et communicationnel du Web (serveurs, langage, systèmes d’information) est un des aspects les plus fascinants de la révolution à laquelle on assiste. Ainsi, des langages comme le langage NLP (Natural language processing) modifient les points de contact entre l’homme et le réseau. Les chatbots, l’utilisation des requêtes passant par la voix sont la porte ouverte à un développement accéléré de l’Intelligence Artificielle. La machine comme les assistants personnels s’efforce de communiquer avec l’homme et plus de répondre à des questions basiques.
Au sein de ce tryptique, l’homme qui était acteur et sujet devient objet. Ses data sont monétisées, sa capacité d’attention faiblit, son intelligence serait menacée…C’est notre responsabilité de citoyens et d’universitaires de mettre en garde contre cette instrumentalisation de l’humain.
Le deuxième axe est l’émergence grâce au numérique d’une conscience collective universaliste et, malgré quelques dérives, profondément éthique. Je crois en la sagesse des foules ce qui est très nouveau pour notre pensée imprégnée d’individualisme. Les grands mouvements politiques d’aujourd’hui et de demain naissent sur le Web. Je trouve, à cet égard, Twitter absolument impressionnant. Il peut déclencher des crises diplomatiques reposant sur un Tweet maladroit mais également sauver le poumon de la planète ou propager des idées de liberté et de justice.
Le troisième axe est la capacité du Web à concentrer, numériser et, d’une certaine façon, protéger la connaissance. Il est un cerveau mondial qui s’est affranchi du temps, des langues et des supports physiques trop fragiles. Nous n’avons plus peur que la bibliothèque d’Alexandrie brûle…
Peut-être à tort d’ailleurs car le Web, c’est aussi des milliers de câbles de fibre optique menacés par le réchauffement climatique.
Vous avez participez entre autre au lancement du blog de l’Association Française du Marketing. Vous pouvez nous en expliquer les enjeux et nous parler de son ADN ?
L’association française du marketing regroupe des enseignants-chercheurs en marketing sur des thématiques qui vont de la relation client en passant par les nouvelles formes de consommation. L’idée du blog de l’association est de promouvoir les résultats de ces recherches. Il y a l’idée fausse que la recherche ne peut produire de résultats directement opérationnels. Chaque billet met en avant des résultats d’études faisant avancer considérablement la compréhension du client. Ce blog est un pont entre les chercheurs et les entreprises. Il ne tient qu’à elles d’utiliser ces recherches gratuites et en libre accès. L’objectif poursuivi par le Professeur Pierre Volle qui est à l’initiative de ce blog est de casser les silos entre le monde académique et l’entreprise.
Quelles sont les orientations programmatiques promulguées au sein de vos cours autour de la communication de marque et des réseaux sociaux ? Et les meilleures pratiques professionnelles que vous conseillez à vos étudiants ?
Nous abordons les réseaux sociaux de façon pragmatique. Je crois beaucoup à un apprentissage via les outils. Les outils portent en eux des concepts qui permettent de mieux comprendre ce qu’est un réseau. Nous allons travailler, cette année, sur les réseaux sociaux chinois car ils proposent une vision tout à fait actuelle des nouveaux usages des consommateurs, une vision globalisante, un écosystème Full Service qui mêle consommation, réseau, expérientiel…
A l’IAE de Paris où j’enseigne, une attention particulière est portée à l’employabilité des étudiants. Le premier conseil que je donne à mes étudiants est d’exister sur le Web. Plus ils tardent à se construire une e-réputation spécifique, plus ce sera difficile. L’inscription sur LinkedIn, un profil à jour, la création d’un scoop-it ou d’un blog sont des incontournables. Faire du networking, commencer à se positionner comme expert d’un domaine ou curateur avisé deviennent essentiels.
Comment les marques doivent-elles se réinventer, tant au niveau de l’image véhiculée, du marketing d’influence, de la création publicitaire, pour que l’attachement du sensible, l’empathie perdure avec le consommateur ?
Je relisais récemment « No Logo » de Naomie Klein, un livre qui dénonçait il y a dix ans le pouvoir des marques. L’auteur a une théorie : plus les marques sont puissantes, moins elles sont obligées d’investir sur le produit. J’ai envie de dire aux marques d’aujourd’hui qu’il faut réinvestir sur le produit, sa qualité, sa créativité et faire moins de marketing. Les marques sincères dans leurs engagements perdureront. C’est extrêmement difficile aujourd’hui de cacher des process de fabrication non éthiques peu respectueux de l’environnement.
Les marques qui survivront seront celles qui adopteront la vision Google « Don’t be evil » et plus récemment « Do the right thing ». Qui l’adopteront et le mettront en pratique réellement.
L’effacement de l’Etat en tant que premier apporteur de « care » va mettre les marques au premier plan d’une responsabilité sociale qu’elles ne pourront pas refuser.
La curation est devenue pour certains un signe d’influence par défaut ! Mais quels sont les codes du web et les indicateurs d’engagements qui permettent d’établir une relation d’humain à humain et non de média à lecteur ?
Plus les influenceurs sont influents dans le sens communauté imposante de plusieurs milliers de personnes, plus ils sont perçus comme des médias. Dès lors, leur puissance dégrade la confiance des consommateurs en eux. Le marketing d’influence s’est lancé sur un dialogue d’humain à humain avec l’impression que l’influenceur dévoilait de façon franche et non mercantile sa vie privée. Les tendances sont à la micro-influence perçue comme plus authentique et aux influenceurs digitaux, des personas créés de toute pièce par certaines marques et dont le caractère irréel semble fasciner les consommateurs. On abandonne l’axe humain à humain pour humain à machine.
Pour moi, l’ultime indicateur d’engagement est la conversion (dans le sens tu me convaincs d’acheter ce produit). Les KOL (Key Opinion Leader), influenceurs chinois l’ont bien compris puisqu’ils sont créateurs de leur propre boutique e-commerce et court-circuitent les marques et leur retail.
Vous avez créé, le site beabilis où vous défendez un « numérique heureux ». Nos vies ne seraient-elles qu’une « vision médiatique » de l’obsolescence programmée des êtres et des choses, ou plutôt la somme de nos individualités dans un collectif soucieux de son environnement social et environnemental, coincé entre bénéfice et contrainte ?
Je défends le numérique heureux car il est d’ores et déjà un formidable progrès pour l’humanité. Je suis sur Netflix la série « Better than us » qui décrit la naissance de robots ressentant des émotions. A la question « les robots sont-ils meilleurs que nous », un des personnages rétorque « Non car l’humain a des défauts ».
Ce sont nos défauts qui font notre valeur par rapport à la machine. Nos défauts nous rendent imprévisibles au sens premier du terme. De l’imprévisibilité peut tout naître dont la sérendipité qui ouvre la voie à tant de découvertes. Le défaut est un marqueur de différence par rapport à la norme.
Cultivons le pour rester humain.