Nous nous sommes lancés dans la chasse au Tirole…

Share on twitter
Twitter
Share on linkedin
LinkedIn
Share on facebook
Facebook

C’est le 13 octobre dernier que le Prix Nobel d’Economie a été attribué au français Jean Tirole. Une annonce qui, il y a un peu plus d’un mois, a braqué tous les projecteurs sur cet économiste français alors inconnu du grand public. Antoine Reverchon, journaliste au Monde, revient avec nous sur cet événement et nous raconte comment il l’a vécu.

Nobelprize

Quelle est votre fonction au Monde et quel a été votre parcours jusqu’à maintenant ?

Je suis journaliste au Monde depuis 1993. J’étais au Monde de l’Education puis au Monde Initiatives, un supplément consacré au marché de l’emploi qui a ensuite été absorbé par le Monde Economie- un autre supplément hebdomadaire- lui même remplacé il y a un an par un cahier économie quotidien dans lequel je m’occupe des pages tribune et des chroniques extérieures.

Dans quel état d’esprit étiez-vous lorsque vous avez appris que Jean Tirole avait reçu le Prix Nobel d’économie ?

Chaque année, le journal attend la rafale des Prix Nobel – de la Paix, de littérature, de physique, de chimie, de médecine… Et puis, il y a le Nobel d’économie qui – en fait- n’est pas un prix Nobel. Car il s’appelle en vérité le Prix de la Banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel. C’est un abus de langage que tout le monde a tendance à faire… mais qui facilite les choses. Le problème, c’est que comme le secret est toujours très bien gardé, nous n’avons pas pu anticiper et préparer quelque chose à l’avance. Concernant Jean Tirole, chaque année on s’attend à ce que ce soit lui puisqu’il est l’un des « Nobélisables », comme on dit, mais il se trouve qu’a chaque fois, ce n’était pas le cas et là, pour le coup, cela a été une surprise !

L’annonce a été faite à midi. Comment vous êtes-vous organisés au sein de la rédaction pour produire de l’information rapidement ?

On a fait un premier papier en reprenant immédiatement la dépêche sur le site web du Monde, en y ajoutant quelques éléments comme les Nobel des années précédentes, les (rares) français qui l’ont précédé, etc. Ça c’est le temps 1..
Ensuite on fait un temps 2 dans l’après-midi – toujours sur le web – en rajoutant des éléments sur Jean Tirole dans des papiers un peu plus longs :

Qui est ce ?
Quelle est la nature de ses travaux ?

Concrètement, j’ai fait un papier d’appui sur l’Ecole d’Economie de Toulouse dont il est le l’un des fondateurs et l’animateur, un de mes collègues a fait un papier sur le contenu même de ses travaux pour les remettre dans la perspective des théories et des travaux d’autres économistes, en interrogeant certains de ses collègues.

Et ensuite ?

En même temps que l’on fait tout ça, nous avons commandé pour l’édition papier du lendemain un papier à un économiste universitaire sur la généalogie des travaux de Jean Tirole. En même temps, nous nous sommes lancés dans « la chasse au Tirole » car évidement tout le monde veut l’interviewer en même temps… Comme nous n’avons pas de correspondant à Toulouse, nous sommes entrés en contact par mail avec l’attachée de presse de l’Ecole d’Economie de Toulouse. Le problème, c’est qu’à ce moment là, elle en recevait 250 à la minute, plus les coups de fil ! Forcément Tirole était très occupé. Nous n’avons pu lui poser des questions que tard dans la soirée. Le but était de publier une interview dans l’édition papier du lendemain, bouclée à 10 h 30 du matin. Donc, nous étions en retard par rapport aux autres journaux qui, paraissant le matin, ont mis sous presse le soir même.

TSE

Vous avez donc réalisé l’interview plus tard dans la journée pour l’édition du lendemain. Cela a du vous donner un certain avantage par rapport aux autres journaux car vous avez sûrement eu le temps de mener une interview plus approfondie ?

Le souci, c’est que Jean Tirole est un chercheur « pur jus », un monsieur très gentil mais très discret, qui ne souhaite parler que de ce qu’il connaît avec certitude. Il n’aime guère répondre aux questions d’actualité – sur la politique économique du gouvernement, sur les tensions budgétaires avec Bruxelles, etc. – sur lesquelles tous les journaux, les télés, les radios, essayaient absolument d’avoir son avis, puisqu’il était LE Nobel français. C’est ce que j’ai appelé dans l’interview « l’effet Nobel ». Dans la sphère politico-médiatique, on pense qu’un « Nobel » d’économie a forcément un avis sur tout…

En revanche, lorsqu’il parle de ce qu’il connait, de ses travaux de recherche, c’est souvent assez difficilement compréhensible pour les non-spécialistes… Mais ma hiérarchie n’étant pas satisfaite d’une première version de l’interview, j’ai dû lui poser dans la nuit une question supplémentaire, sur la politique du gouvernement. Il a eu la gentillesse d’y répondre, et j’ai pu ainsi compléter l’interview, parue l’après-midi sur le papier et sur le web.

Est-il impossible de vulgariser ses théories ?

Il travaille sur des sujets extrêmement précis de microéconomie comme, par exemple, le fonctionnement et la régulation du marché des cartes bancaires.

C’est hyper technique et cela se rattache à des théories extrêmement précises comme la théorie des jeux.

Pensez-vous que l’opinion a pu voir en Jean Tirole quelqu’un – Prix Nobel d’Economie oblige – qui pouvait trouver des solutions pour résoudre un certain nombre de problèmes de la France ?

Je pense que les gens sont beaucoup moins naïfs qu’on le croit et qu’ils n’ont certainement pas pensé ça. Les politiques et les journalistes l’ont peut-être pensé, eux (rires) ! Ils l’ont en tous cas utilisé pour faire quelques cocoricos et combattre le « french bashing », très à la mode ces temps-ci.

Mais je pense que ce genre de choses ne prend pas car :

1) les gens se sont vite aperçus qu’il disait des choses qu’ils ne comprenaient pas et
2) lui-même dit qu’il n’est pas là pour résoudre les problèmes de la France !

Je reviens au traitement de cette information par Le Monde. D’abord le web puis l’interview. Qu’avez-vous fait par la suite ?

Le B.A. BA est de dire d’abord qui est Jean Tirole, et qu’est-ce qu’il a fait. On l’a fait sur Internet, puis on a développé des angles plus approfondis sur le papier, plus l’interview. Ensuite, quelques jours après l’interview- c’est en quelque sorte le troisième étage de la fusée- nous avons publié une tribune qu’il a rédigé sur ses travaux concernant les questions de monopoles. Il a envoyé un premier jet qui était incompréhensible et là- il a vraiment été gentil car il aurait pu s’énerver- il a bien voulu la reprendre.

Bien que nous l’ayons publié une semaine après l’annonce du prix, on a fait un appel sur cette tribune en Une du journal en l’intitulant «La leçon du Professeur Tirole » car je dois avouer que cela restait difficile à comprendre.

Mais on a eu une tribune de 6000 signes du prix Nobel, et c’est ça qui compte !

Avec le recul, quel regard portez-vous sur le traitement médiatique de cet évènement par la presse en générale ?

Toutes les rédactions françaises ont essayé de faire parler Jean Tirole de la politique économique française alors qu’il n’avait presque rien à dire dans ce domaine. Le Petit journal de Canal Plus ( Émission du 14 octobre vers 14 : 25 ) a d’ailleurs fait un excellent sujet, très drôle, sur ce thème… Ensuite, il y a eu l’effet cocorico et le phénomène de récupération des politiques sur le thème « vous voyez, cela ne va pas si mal en France, on a des super économistes » alors qu’évidemment cela n’a rien à voir.

Canal+

Le vrai sujet c’est pourquoi y a-t-il une série d’économistes français qui sont aussi bien reconnus dans le monde ? Car, il n’y a pas que Tirole ! Il y a beaucoup d’économistes français qui ont du succès – Piketty, Saez, Duflo, Blanchard, Phillipon, Fahri, etc. Sur « les 25 jeunes économistes prometteurs » listés chaque année par le FMI dans le monde, sept étaient français en 2014, et tous les sept ont été lauréats du « Prix du meilleur jeune économiste » décerné chaque année depuis 2000 par Le Monde et le Cercle des économistes, ce dont je suis assez fier.

C’est d’ailleurs pour répondre à cette question que nous avons publié vendredi 21 novembre une enquête au long cours pour le supplément « Culture & Idées » sur la généalogie de ces économistes. Comment ce phénomène s’est-il construit ? Quels sont les réseaux, les personnes, qui les ont formé et ont orienté leurs carrières, en France et aux Etats-Unis ? Comment et pourquoi sont-ils (pour certains) revenus en France ?

Propos recueillis par  Alexander Paull

Un petit rayon de Com'

Un petit rayon de Com'

Culture RP est un laboratoire de réflexion, un espace de parole ouvert aux Communicants, aux Influenceurs, aux Journalistes… N’hésitez pas à vous inscrire, à nous contacter pour une contribution. Merci pour votre confiance ainsi que vos partages sur les réseaux sociaux !

Vous aimerez aussi

S’inscrire aux alertes de Culture RP, c’est s’assurer de ne rien perdre de l’information mise à disposition sur notre blog.